Analyse_suite_2006

Remonter

 

 

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Gérard Mauger   

L’Émeute de novembre 2005

Une révolte protopolitique

Novembre 2005 : parallèlement à l’émeute où s’affrontent « jeunes des cités » et policiers, se déroule une « émeute de papier » où se confrontent représentations hostiles ou favorables aux émeutiers : reportages et éditoriaux des journalistes, déclarations des hommes politiques, interprétations contradictoires des intellectuels. Cette émeute de papier fait évidemment partie de l’émeute.
Pour rendre compte de l’événement, il s’agit donc d’établir à la fois une version contrôlée des faits – ce qui s’est passé dans les banlieues –, un répertoire raisonné des prises de position – ce qui s’est passé sur les scènes médiatique, politique, intellectuelle –, et de confronter les interprétations proposées aux faits établis.
Si l’on renonce à des énoncés plus proches de l’exhortation ou de la dénonciation que de la description, force est de constater qu’au regard du répertoire d’action politique institutionnalisé, l’émeute de novembre 2005 s’apparente évidemment plus à une révolte « protopolitique » qu’à un mouvement social organisé.

Gérard Mauger est sociologue, directeur de recherches au CNRS et directeur adjoint du Centre de sociologie européenne (CNRS-EHESS). Il est membre de l’association Raisons d’agir. Ses recherches ont porté sur la jeunesse, la déviance, les pratiques culturelles et les intellectuels. Auteurs de nombreux ouvrages, il a notamment dirigé Lire les sciences. Vol. 4 / 1997-2004 (Maison des sciences de l’homme, 2004) et Rencontres avec Pierre Bourdieu (Éd. du Croquant, 2005). Il a également participé à l'ouvrage collectif L'Accès à la vie d'artiste. Sélection et consécration artistiques (à paraître en octobre aux éditions du Croquant)Éditions du Croquant

 

Banlieues : six mois après, quoi de neuf ?

France 5 Ripostes - Banlieues six mois après, quoi de neuf (Rappel des faits)

 

 

Nous nous souvenons de deux gamins poursuivis par la police, morts électrocutés. Ils s'appelaient Zyed et Bouna. Ils avaient 16 et 17 ans.

Nous nous souvenons des cités en flammes, de la guérilla urbaine, des banlieues qui brûlaient, des gymnases et des écoles détruites.
Nous nous souvenons de la "guerre civile française" dont parlait la presse étrangère, du climat de désespoir, de la haine...

Nous nous souvenons que le journal russe Vremia Novosteï disant que "les immigrés arabes réglaient leur compte avec les autorités françaises". A Athènes, on dénonçait la haine qui recouvrait Paris et ses ghettos. La chaîne américaine ABC ouvrait son journal par les mots "Paris brûle", alors que le Washington Times titrait "Paris en flammes".
 
Nous nous souvenons de Nicolas Sarkozy, de son "Karcher" et de ses "racailles", qui affirmait que "ces violences n'avaient rien de spontané et étaient parfaitement organisées".

Nous nous souvenons que Dominique de Villepin avait justifié "l'état d'urgence" et le couvre-feu pour lutter contre des "bandes structurées à la criminalité organisée qui ne reculent devant aucun moyen pour faire régner le désordre et la violence". 
Nous nous souvenons qu'il y a eu plus de 9 000 véhicules incendiés, 1 700 bâtiments publics dégradés.

Nous nous souvenons des promesses...
On disait que l'on changerait tout dans les cités et que l'on verrait ce que l'on verrait.
Alors, aujourd'hui, six mois après, que peut-on voir ?
Que s'est-il passé dans les cités ?
Qu'y a-t-on fait concrètement ?
Un nouvel embrasement est-il encore possible ?
France 5 Ripostes - Banlieues six mois après, quoi de neuf (Rappel des faits)

 

 

PREFECTURE DE LA SEINE-SAINT-DENIS

Bobigny, le 13 juin 2006

 

 

LE PREFET DE SEINE-SAINT-DENIS

A

MONSIEUR LE MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'INTERIEUR ET DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

CABINET

 

à l'attention personnelle de monsieur le préfet Claude GUEANT,

directeur de cabinet

 

 

OBJET: Situation de la délinquance en Seine-Saint-Denis

 

P.J.: 3+1 dossier effectifs

 

L'évolution de la délinquance dans le département, particulièrement préoccupante (+13,69% pour le mois de mai 2006) me conduit à attirer votre attention sur certains constats et analyses qui en découlent.

Par mes rapports des 17 janvier, 10 février et 16 mars 2006, je soulignais les tendances défavorables qui se dessinaient et les mesures envisagées pour tenter de les juguler.

Avec un taux de +7,64% depuis le début de l'année, le département connaît une recrudescence de la délinquance peu connue jusqu'ici depuis de nombreuses années. L'activité policière (+3,23% de faits élucidés) mérite d'être soulignée mais n'est malheureusement pas à la hauteur de cette évolution.

Plusieurs phénomènes expliquent cette situation, que leur résolution, que je sais fort compliquée, contribuerait à réduire.

1. La situation de la délinquance dans ce département constitue le continuum des émeutes de novembre, d'autant plus que les réponses judiciaires qui avaient été apportées en son temps n'avaient pas été à la mesure des difficultés: 85 mineurs avaient été déférés, un seul avait été écroué. Or, il est patent de constater que l'augmentation très forte des vols/violences était due, à 70%, à des mineurs, chez lesquels le sentiment d'impunité prévaut. C'est une réalité fondamentale que chacun des maires du département souligne avec anxiété et qui aujourd'hui est devenu un motif fort de découragement dans tous les commissariats.

 

2. Plus globalement, les réponses judiciaires ne sont, plus que jamais, pas à la hauteur des problèmes de ce département, ainsi que je vous en ai fait état par mes rapports des 14 mars, 26 avril et 17 mai 2006, dont je vous joins copie pour mémoire.

Au delà d'une réforme de l'institution judiciaire, des mesures peuvent être prises, notamment en ce qui concerne les appels que peut produire le Parquet.

 

A titre d'information, je vous précise qu'en 2005, sur 1651 mineurs déférés au Parquet, seuls 132 ont été écroués, ce qui donne une idée de la marge de progression que le Parquet possède actuellement, nonobstant le dogmatisme dont peut faire preuve le Jude des enfants de ce département.

 

Le fait de plus en plus fréquent pour un policier de se retrouver le soir même sur la voie publique un mineur arrêté par ses soins le matin pour un vol/portière ou pour un vol/violence, traduit parfaitement la situation dans laquelle se trouve ce département et, partant, le sentiment général d'impunité qui prédomine parmi les jeunes délinquants et de lassitude des policiers quel que soit leur grade.

 

3. Bien que n'ayant pas eu connaissance à ce jour des effectifs de référence à l'étude depuis plusieurs mois, je me permets d'insister sur les sujétions particulières auxquelles le département est confronté et sur la nécessité d'en tenir compte dans l'affectation des gardiens de la paix à chaque sortie de promotion. Je me permets, à cet égard, d'attirer votre attention sur la situation très défavorable que connaît malheureusement ce département depuis 4 ans, alors même que la population augmente régulièrement (= 5000 personnes/an), que le nombre de clandestins n'est pas mesurable et que la violence s'accroît.

Vous trouverez à ce sujet un bilan de l'évolution des effectifs de gardiens de la paix, par circonscription, depuis 2002. Vous constaterez que les effectifs en question ont subi une diminution très perceptible à laquelle les élus et l'opinion publique sont très sensibles. Cette situation génère de plus en plus de remarques syndicales au sein de la police et de commentaires des maires qui suivent très précisément la situation de leur commissariat.

 

4. Je rappelle que la sécurité publique connaît des sujétions sans aucune mesure avec celle que connaît chacun des autres départements du pays. Si je ne devais citer que quelques exemples, je rappellerais les vacations que doivent effectuer les services de sécurité publique au Tribunal de grande instance de Bobigny, et notoirement au stade de France, équipement qui mobilise 25 à 30 soirées par an un nombre considérable d'effectifs, lesquels, au regard des récupérations, ne sont pas disponibles sur la voie publique. Au surplus, je rappelle que le département est le premier département de France en terme de sécurisation des visites ministérielles, le nombre avoisinant 150 par an, ce qui là aussi obère d'autant la capacité d'intervention sur la voie publique.

Enfin, la situation des établissements scolaires est telle qu'elle nécessite une présence forte permanente pour éviter tout dérapage.

 

5. La situation des commissariats de Seine-Saint-Denis mériterait une attention renforcée.

A cet égard, je constate l'extrême jeunesse des commissaires qui sont nommés dans ce département. Au surplus, en à peine plus de deux ans, l'ensemble des commissaires, chefs de circonscription de sécurité publique a changé de titulaire, ce qui peut, à l'évidence, contribuer à une certaine pérennité dans la connaissance de l'environnement et dans l'action policière subséquente : depuis 2004, sur 21 circonscriptions, à peine deux responsables sont toujours en poste… Ce département a besoin de stabilité dans la présence et la connaissance des commissaires. Une durée moyenne de 3 ans ne me semblerait pas exagérée même si la tâche y est pénible.

6. Je reconnais à sa juste mesure l'effort fait depuis plusieurs mois en faveur du département en ce qui concerne l'affectation des forces mobiles, notamment de CRS. Cela étant, leurs modalités d'intervention, axées sur les contrôles d'identité essentiellement, si elles s'avèrent fort utiles en certaines circonstances, ne permettent pas toujours une sécurisation réactive dans les quartiers sensibles dans le cadre de la prévention des violences urbaines.

Par ailleurs est clairement perceptible la difficulté de fonctionnement conjoint sécurité publique et CRS, chacun tentant de reporter sur l'autre l'inefficacité des mesures de sécurité. L'atmosphère n'est donc pas la meilleure et la population (honnête…) le ressent indirectement.

Si la contribution des CRS est indispensable en termes de forces d'appoint lors des violences urbaines déclarées, ce qu'il ne s'agit en aucun cas de sous-estimer, un mode d'intervention nouveau, de type sécurisation complémentaire ou préventive pourrait être mis en place à l'échelon central. L'efficacité de l'intervention des BAC, CDI, UMS, très mobiles, rapides, discrète et connaissant le terrain conduit à proposer la création d'une sorte de BAC centrale, qui pourrait être utilisée chaque fois que cela est nécessaire dans chacun des départements d'Ile-de-France (voire plus). En fonction des circonstances locales, le préfet du département considéré demanderait le concours complémentaire de ce type d'unités pour renforcer ses propres BAC ou UMS locales. Une fois le travail achevé, les effectifs reviendraient à la BAC centrale.

7. Enfin, de plus en plus de responsables de la sécurité publique du département me font part de leur émoi quant aux modalités d'intervention de l'inspection générale des services, selon eux plus rudes et disproportionnés par rapport à la situation que connaissent les autres départements, parfois pour des faits similaires, provocant à leur avis à une "frilosité" de plus en plus grande dans l'intervention des forces de police.

 

*

* *

Tels sont les éléments d'information que je souhaitais porter à votre connaissance, étant convaincu que la situation actuelle de ce département de sans doute plus d'1,5 millions d'habitants (compte tenu des clandestins) ne peut être modifiée durablement qu'à la condition d'une réelle lisibilité des décisions de justice (singulièrement pour les mineurs), et d'un accroissement des capacités d'intervention rapide, en civil et équipées des dernières technologies (en armements, en vidéo et en moyens d'écoute).

Au delà de ces aspects de traitement de la sécurité, il me paraît fondamental de maintenir, voire de renforcer les mesures gouvernementales en matière d'urbanisme, d'emploi et d'éducation. L'accroissement de la pauvreté se poursuit dans les cités, avec une concentration du chômage pour les plus jeunes (la Seine-Saint-Denis représente 35% de la pauvreté d'Ile-de-France). Ces classes d'âge sont aujourd'hui fortement travaillées par l'Islam et sans doute le plus intégriste. Je constate depuis mon arrivée une multiplication dans les quartiers et ouvertement désormais dans les lieux publics, notamment les centres commerciaux, de femmes voilées intégralement. Cela ne semble d'ailleurs plus surprendre personne.

Enfin, à chaque réveil de l'agitation dans telle ou telle cité, il est désormais quasi systématiquement observable que le relais de la gestion locale est pris par "les barbus" que l'on voit en compagnie des "animateurs" ou "médiateurs" divers dans des déplacements destinés (disent-ils) à calmer le jeu (parfois avec la complicité tacite de certains élus).

Ce département est pourtant en plein développement économique. Les grandes entreprises que l'on voit s'installer au sud de Saint-Denis ou d'Aubervilliers, ou dans d'autres communes jouxtant le périphérique, la reconquête dans ces mêmes lieux de l'habitat par les classes moyennes conduisent aujourd'hui à une confrontation permanente entre l'aisance des uns et la pauvreté des autres. L'uniformité sociale et économique de la Seine-Saint-Denis, telle qu'elle existait depuis l'après-guerre est en train d'exploser. Les écarts se creusent, les envies s'exacerbent. C'est ce grand écart conjoncturel qu'il nous faut gérer au quotidien sur un territoire ou 2/3 de la population est étrangère, ou d'origine étrangère et où les référents culturels sont loin de ceux de notre vieux pays.

Si la République n'est pas en mesure d'appliquer les sanctions correspondant à la non observation de ses règles, alors nous serons dans l'obligation d'effectuer de plus en plus fréquemment des opérations de maintien de l'ordre au détriment d'interventions plus classiques de sécurité.

Le préfet,

Jean-François CORDET

 

 

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Jean-Christophe Lagarde

Député UDF de Seine-Saint-Denis, Jean-Christophe Lagarde est maire de Drancy.

 Jean-Claude Delage

Jean-Claude Delage est secrétaire général du syndicat Alliance Police nationale.

 Dominique Barella

Président de l'Union syndicale des magistrats, le principal syndicat de la profession, qui se présente comme neutre et pluraliste, Dominique Barella est aujourd'hui en disponibilité de la magistrature. Il a été successivement juge d'application des peines, juge d'instance puis procureur de la République.

 

 

 

Eric Raoult

Ancien ministre chargé de l'Intégration et de la Lutte contre l'exclusion puis délégué à la Ville et à l'Intégration auprès du ministre de l'Aménagement du territoire, Eric Raoult est aujourd'hui député-maire UMP de Seine-Saint-Denis et, entre autres, vice-président du groupe d'études parlementaire sur la sécurité intérieure.

 

 Claude Dilain

Claude Dilain est maire PS de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.

 Laurent Chabrun

Journaliste à L'Express, Laurent Chabrun est l'auteur de nombreux ouvrages dont, Les corrompus de Saddam Hussein, écrit en collaboration avec Franck Hériot et paru en mars 2006 aux éditions Plon.France 5 Ripostes - CitésPoliceJustice (Invités)

 

 

http://www.inhes.interieur.gouv.fr/index.php?inhes=bienvenue

 

http://previon.typepad.com/hebdo/

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Ecrits d’alarme

Pendant plusieurs mois, les membres d’AC-lefeu ont sillonné la France en minibus pour donner la parole à une population mise à l’écart. Un périple qui a permis de recueillir par écrit plus de 20 000 doléances. Une initiative citoyenne et une leçon pour les politiques.

Ils l’ont fait pour Zyad, 15 ans, et Bouna, 17 ans. Pour qu’ils ne soient pas morts pour rien. Ils sont partis de Clichy-sous-Bois (93), où les deux garçons ont péri le 27 octobre 2005, électrocutés dans un transformateur EDF après une course-poursuite avec la police. De là, ils ont étendu leur périple au reste de la Seine-Saint-Denis puis à toute la France, de Strasbourg à Toulouse et de Nice à Rennes. Sans oublier l’Ousse-des-Bois, l’Ariane, la Castellane, Saragosse. La France toujours, mais une France perdue de vue, où personne ne vous entend crier. Samir, Mokded, Mamadou et les soixante-dix membres de l’association AC-lefeu (Association du collectif liberté égalité fraternité ensemble et unis) sont allés à sa rencontre. Pas pour attiser la révolte, mais au contraire « pour mettre des mots sur les maux ». Des mots écrits. Des « doléances ».
La référence à 1789 est parfaitement assumée. De la Révolution française, ils ont retenu ce moment où, des profondeurs du royaume, étaient remontés les frustrations, les désirs, les remontrances du pays : « On peut tourner le problème dans tous les sens et jouer sur les mots, mais aujourd’hui encore, on vit dans une société de privilèges et les populations des “quartiers” se sentent mises à l’écart, » explique Samir Mihi, 29 ans, le porte-parole de l’association – et par ailleurs éducateur sportif. « Pour la convocation des états généraux, on se doute bien que le gouvernement traînera des pieds. Mais les cahiers de doléances, ça, on pouvait s’en charger ! » Démagogie, diront certains. Démocratie participative, répond Samir. Avec les moyens du bord : stylo, page blanche divisée en deux, un paragraphe pour les « constats », un autre pour les « propositions ». En deux mois, ils ont recueilli 20 000 de ces cahiers. Ils en déposeront solennellement une synthèse le 25 octobre à l’Assemblée nationale – et peut-être même à l’Elysée.
Le départ a eu lieu le 7 mars, le retour le 6 mai. Un tour de France en trente-huit villes (et en minibus), « au total, une centaine d’endroits visités si l’on ajoute la banlieue parisienne et les petites communes où l’on a fait une pause en chemin ». 17 000 kilomètres au compteur par roulement de six bénévoles (le plus jeune a 18 ans, le plus âgé la cinquantaine), une ou deux tables de tapissier, quelques chaises pliantes, un mégaphone, un peu de tchatche et beaucoup de volonté. Bref, la militance on the road… Souvenirs, souvenirs ! Excellents pour la plupart, malgré l’accueil du maire d’Angoulême, un peu chiche, qui les a d’abord invités à ouvrir leurs cahiers sur le parking désert d’un quartier dépeuplé, avant de les autoriser à dresser leurs tréteaux dans le centre-ville. Difficile aussi de dialoguer avec les passants qui, évoquant la mort de Zyad et Bouna, déclaraient index levé qu’« on ne fuit pas la police quand on n’a rien à se reprocher ! ». Mais pour les bénévoles d’AC-lefeu, l’objectif était clair : « retourner le micro », rendre à la France muette – des oubliés des centres-villes à la « racaille » des cités – une parole confisquée depuis trop longtemps par les avocats de la défense (de l’ordre public) et les experts de tout poil. Mission accomplie sans distinction de peau, de classe ou de religion (ces cahiers se veulent tout sauf « communautaires »), quitte à secouer les esprits parfois résignés : « Sarkozy vous propose de nettoyer les quartiers au Kärcher et vous ne réagissez pas ? Vous êtes contents de vivre comme ça ? Le logement, l’emploi, tout va bien ? » s’inquiétait ainsi le président de l’association (et éducateur de rue), Mohamed Mechmache, sur la place du marché à Bondy-Nord. « Alors, comme ça, vous n’avez rien à dire ? »
Si ! Même qu’ils l’ont écrit. 20 000 témoignages anonymes, « c’est mieux que l’Insee, sourit Samir, et ça n’aura pas coûté cher au gouvernement ». Une mine d’informations, de souffrances exprimées, de revendications actives. Que disent-elles, ces doléances qui sont désormais passées au crible par des sociologues bénévoles ? L’emploi et le logement se taillent la part du lion, explique Annick Rogès, formatrice à Clichy-sous-Bois. Mais reviennent aussi en leitmotiv les relations dégradées avec la police : « Certains témoignages vous font monter les larmes aux yeux, comme ces adolescents de la cité Ariane, à Nice, qui se plaignent d’être arrêtés trois, quatre fois par jour pour des contrôles d’identité. » On pioche une fiche dans le 06 (Alpes-Maritimes). Homme, 17 ans. Dans l’espace réservé aux « constats », il écrit : « 1. Abus de pouvoir. 2. Tutoiement abusif. 3. Comportement trop autoritaire ». Dans l’espace « propositions » : « Instaurer un dialogue serein, notamment lors des contrôles “de routine”. Avoir un langage exemplaire : le respect doit fonctionner dans les deux sens. Motiver clairement les contrôles. » Et le jeune homme de conclure : « Le dialogue est plus efficace que la répression. » Commentaire ironique de Samir : « Le contrôle de routine, c’est ce que fait le médecin avec ses malades, non ? Mais faites-vous “contrôler” trois fois par jour, et vous finirez par vous dire que quelque chose ne tourne pas rond ! C’est exactement ce qui arrive à ces jeunes. »
Autre cahier, en provenance d’Epinal : « Les violences urbaines trouvent leur source dans le désespoir. Le désespoir est le résultat de destins de vie inégaux. » Et l’auteur, un garçon de 20 ans, de proposer que l’on « donne des cours sur l’histoire de la jeunesse française ». Une idée, tiens, qui nous rappelle qu’elle s’est toujours rebellée. Et il y en a plein d’autres dans ces cahiers, qu’il s’agisse de formation professionnelle, du CV anonyme, de la santé ou des droits de la femme – un thème qui surgit plus souvent qu’on ne le croit sous la plume des hommes. Mais des inquiétudes à méditer aussi, comme cette réflexion d’un « doléant » de 81 ans, qui s’interroge sur la « difficulté de maîtriser le français lorsque la famille parle une langue étrangère et que la télévision est reçue dans la langue des parents (parabole) ».
Changer le silence (et les pierres) en mots, c’était le premier objectif d’AC-lefeu. Le second est de les transformer en bulletins de vote en poussant les gens à s’inscrire sur les listes électorales. Pas une mince affaire, comme Samir a pu le constater. « A Nice, quand les jeunes de la cité Ariane nous ont vus arriver, ils nous ont traités de gros naïfs en disant que les hommes politiques n’en avaient rien à foutre des habitants des quartiers. Toute l’après-midi, on leur a expliqué que voter reste le moyen le plus efficace de mettre la pression sur les élus, et que les jeunes n’avaient aucune légitimité à “l’ouvrir” s’ils ne votaient pas. Quand on les a quittés, ils avaient promis de s’inscrire sur les listes. C’est mon meilleur souvenir. »
En moins d’un an, le collège électoral de Clichy-sous-Bois, stable depuis des lustres, est passé de 7 000 à 8 000 inscrits. 15 % d’électeurs en plus, à sept mois de la présidentielle et deux ans des municipales, ça « interpelle », comme on dit, dans les partis politiques. Surtout si, comme l’espère AC-lefeu, le phénomène se reproduit dans toutes les villes traversées par les deux minibus. Des dragueurs de gauche et de droite ont fait quelques tentatives d’entrisme… vite déjouées : « On a croisé du beau monde, s’amuse Samir : le Tour de France des MJS [Mouvement des jeunes socialistes], le Tour des plages de l’UMP… Mais ils cherchaient des adhérents et venaient à notre rencontre avec un discours tout prêt. Nous, on cherchait des citoyens et on venait avec nos oreilles, pour écouter. C’est pas tout à fait la même démarche… » Citoyens d’abord, et de tous bords ? Oui, mais pas citoyens neutres pour autant. Quelle « neutralité » pourrait-il y avoir, d’ailleurs, quand les « doléants » évoquent la dégradation de leurs rapports avec la police au moment où le ministre de l’Intérieur, lui, bat la campagne pour la présidentielle ? « Comme on pouvait s’y attendre, Nicolas Sarkozy est souvent cité dans les textes que nous avons recueillis, confirme Samir. Dommage qu’avec lui le dialogue soit rompu depuis longtemps. Il ne s’est jamais manifesté, et pourtant il apprendrait plein de choses en lisant ces cahiers. Mais on garde des exemplaires à sa disposition – et surtout, qu’il n’hésite pas à nous appeler s’il souhaite nous rencontrer : les RG ont mon numéro… »
Sous l’ironie, l’envie d’aboutir. Car ces cahiers seront du papier gâché et du temps perdu si leurs destinataires – les élus de France – ne prennent pas le temps de les lire et continuent de fermer les yeux. Alors, prévient Samir, « On restera vigilant. On n’a pas rassemblé ces milliers d’informations pour les voir rangées dans les archives des ministères ! ». Le 25 octobre, la Marche des cahiers emmènera ceux qui ont participé à l’aventure de la place Denfert-Rochereau à l’Assemblée nationale. Tout le monde est invité. Deux jours plus tard, les familles et amis de Zyad et Bouna déposeront une stèle à Clichy. Et à la fin du mois, sur une idée de l’association Au-delà des mots (ADM), 166 chanteurs, parmi lesquels Diam’s et Akhenaton, sortiront un album coécrit avec des lycéens du collège Robert-Doisneau, où Zyad et Bouna étudiaient. Morts pour rien, ça s’appelle. Aux hommes politiques de faire mentir le titre.

Olivier Pascal-Moussellard

Télérama n° 2961 - 14 Octobre 2006

"Il n'y a pas d'humanité innocente"

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Le philosophe Pascal Bruckner était notre invité lors d'un tchat le 10 octobre. Voici la retranscription de sa discussion avec les internautes.

stephane"Colonisation : mémoire ou remords", dit le titre de ce tchat et l'article paru dans Télérama. Des remords ? C'est un peu tard, il me semble. Mémoire ? A l'évidence, mais quelle mémoire ? Celle des colons ou celle des colonisés - dont on parle bien peu au final ? 

Pascal_BrucknerNi mémoire ni remords, mais l'histoire. La colonisation est terminée depuis un demi-siècle, et il n'est plus temps d'entretenir une culpabilité pour des choses que nous n'avons pas faites directement. Il n'est pas certain que les colonisés en question, surtout en Algérie, aient très envie que l'on fasse l'historique de leur indépendance et de la décolonisation, car cela contredirait la légende officielle véhiculée par les autorités. 

Renaud D.Vous dites à la radio "la culpabilité ne se transmet pas à la génération suivante. Elle cesse à la mort du fautif." Ne voyons-nous pas dans l'histoire des effets sur le très long terme ? Je crois, moi, que la mémoire des peuples est fort longue, que tout ne se réduit pas à l'échelle individuelle ou générationnelle, non ? 

Pascal_BrucknerIl faut distinguer la culpabilité et la responsabilité. Nous devons répondre des crimes de nos pères même si nous n'en sommes pas directement fautifs. La mémoire des peuples est longue, mais la cohabitation pacifique est plus importante que les griefs immémoriaux. Si les Allemands et les Français avaient dû obéir au devoir de mémoire, ils ne se seraient jamais réconciliés. 

Alfred972 : Le projet français de vivre ensemble ne doit-il pas intégrer une reconnaissance des "Histoires de France" plutôt qu'une monolithique "Histoire de France" ? 

Pascal_BrucknerOn en est là aujourd'hui. A tel point qu'il n'y a plus d'Histoire de France, mais des histoires spécifiques avec le risque de sombrer dans une sorte de tribalisme de la mémoire, où chaque communauté revendiquera ses souffrances particulières. Il faudrait écrire une histoire qui appartienne à tous, et non pas simplement une accumulation de mémoires particulières. 

Koutouzoff : Pensez-vous que l'autodénigrement systématique en France ait un impact direct sur l'intégration des jeunes issus de l'immigration ? 

Pascal_BrucknerOui, car si les Français ne s'aiment pas, ils ne peuvent pas espérer que les jeunes issus de l'immigration les aiment à leur place. Il faut avoir confiance en soi pour inspirer l'envie d'adhérer au projet national. 

mahaVous avez dit à l'émission de Ruquier qu'après le départ de la France, les peuples indépendants se sont embourbés dans plusieurs dificultés (comme en Algérie), insinuant par là leur besoin d'être "assistés" et le "bienfait" de la colonisation. D'abord, ce n'est pas le cas de tous les pays (Tunisie par exemple) et puis, vous êtes-vous posé la question de savoir si ce n'est pas justement la colonisation qui a affaibli ces pays ? 

Pascal_BrucknerJe n'ai jamais insinué quoi que ce soit sur la colonisation. J'ai simplement dit que les anciens pays colonisés avaient fait preuve de la même violence et de la même brutalité que les Européens. La barbarie n'est pas l'apanage d'un seul continent, toute l'histoire de l'Afrique depuis les indépendances le prouve. En imputer la responsabilité à l'ancien colonisateur, c'est infantiliser ces peuples, et croire qu'en étant incapables de liberté, ils sont aussi incapables de faire le mal par eux-mêmes. Il n'y a pas d'humanité innocente. 

S.FERAYQu'appelle-t-on colonisation ? Y a-t-il des colonisations réussies ? 

Pascal_BrucknerNon, il n'y a pas de colonisation réussie, puisque les colonisés réclament toujours leur indépendance : les Espagnols avec la Reconquista de l'Andalousie, les pays arabes et les pays d'Europe de l'Est contre l'Empire ottoman, et enfin l'Asie et l'Afrique contre les empires européens. Il n'empêche que dans chaque cas, des choses positives ont été réalisées. Mais c'est aux intéressés eux-mêmes de le dire et c'est l'Histoire qui l'affirme avec le temps passé. 

jeanEn quoi l'attitude de l'URSS vis-à-vis de ses états satellites d'Europe centrale de 1945 à 1989 diffère-t-elle de la colonisation ? 

Pascal_BrucknerL'URSS était un empire continental, alors que les empires européens étaient d'outre-mer. La Russie est aujourd'hui le dernier grand empire continental existant, qui règne par la terreur et la force en Tchétchénie comme en Géorgie et dans les autres républiques caucasiennes. Je suis étonné que nos anticolonialistes virulents ne disent jamais rien sur l'horrible guerre menée par M. Poutine et ses troupes en Tchétchénie. 

jean-marieComment se fait -il que les Anglais et les Américains assument entièrement leur passé sans ambiguité et que la France n'arrive pas à le faire ? 

Pascal_BrucknerC'est une question difficile. Les Anglais n'assument pas si bien le passé que ça, puisque Tony Blair a dû demander pardon aux Irlandais pour la grande famine organisée par les Britanniques au XIXe siècle. Mais il est vrai que la France a un problème avec la vérité, puisque cette dernière est la propriété exclusive de l'Etat, qui dit ce qui a eu lieu et ce qui n'a pas eu lieu. C'est une attitude catastrophique puisque tout se passe sous le sceau du secret, ce qui laisse soupçonner les pires événements. Il est temps que les Français dénoncent en temps réel leurs fautes ou leurs manquements, et ne laissent pas les choses macérer comme du pus pendant des décennies. 

claireVous dites plus haut "il n'y a pas de colonisation réussie". Englobez-vous l'actuelle colonisation de la Palestine ou est-ce un cas particulier ? 

Pascal_Bruckner : Le conflit israélo-palestinien est selon les mots d'Amos Oz un "litige immobilier entre deux propriétaires également légitimes". Il est évident que la paix, si elle n'est pas freinée par des puissances régionales ou étrangères, ne pourra passer que par la restitution de la Cisjordanie aux Palestiniens. 

romainQuid des Antilles et autres possessions françaises outre-mer ? Ne sont-elles pas des vestiges de l'Empire ? 

Pascal_BrucknerOui, les confetti de l'Empire sont des vestiges et posent le problème de l'appartenance nationale de ces communautés. S'il s'avérait que les Antillais, les Guyanais, les Réunionnais, les Néo-Calédoniens, voire les Corses, souhaitaient leur indépendance à une forte majorité, la France n'aurait aucun intérêt à s'y opposer. 

coco0 : "Arrogance et haine de soi sont les deux maux typiquement français", dites-vous. Comment guérit un pays de cela ? 

Pascal_BrucknerOn guérit d'abord par l'ouverture aux autres nations, c'est-à-dire voir ce qui a marché ailleurs et ce qui peut être importé sur notre territoire. Cela pour l'arrogance. La France n'a longtemps accepté l'Europe qu'à condition que l'Europe devienne française et la vanité impériale de l'Hexagone masque mal un manque de confiance dans nos capacités d'influencer le monde extérieur. C'est une sorte de cache-misère. 

LynceQui a intérêt en France à entretenir cette réthorique auto-culpabilisante sur la colonisation ? 

Pascal_Bruckner : Il n'y a pas de source unique, de centre de culpabilisation généralisée. C'est plutôt un sentiment diffus, propagé par les élites intellectuelles et politiques, et qui épouse ou même formate l'esprit national. Sur ce sentiment d'autodénigrament se greffent toutes sortes de minorités qui tentent de renégocier leur place au sein de la République en entretenant une mémoire culpabilisatrice. 

Freddy1000Ne pensez-vous pas que la manière dont vous traitez le sujet puisse favoriser des idées extrêmistes contre des minorités en France issues pour la majorité des anciennes colonies ? 

Pascal_BrucknerA l'époque du stalinisme, on disait toujours qu'il ne fallait pas dénoncer les erreurs de l'Union soviétique pour ne pas faire le jeu des impérialistes. De la même façon, j'estime qu'il faut porter le fer dans la plaie et dire la vérité, ce qui est le meilleur moyen d'ailleurs d'écarter les discours extrémistes. La France est décidément un pays fâché avec la vérité. Si chaque fois qu'on essaie d'énoncer un discours un peu en marge on est accusé de faire le jeu des extrémistes. Une nation n'est pas composée de minorités. Je parle de chez moi, et je ne me considère pas comme étant une minorité à moi-même. Le peuple français n'est pas un assemblage de communautés ou de tribus. 

Tao69 : L'héritage du catholicisme est-il important dans notre sentiment de culpabilité ? 

Pascal_BrucknerOui, il est même fondamental. C'est le christianisme qui a théorisé la pénitence comme étant un sacrement. Ce qui est curieux aujourd'hui, c'est de voir combien le sentiment de la faute est repris par des philosophes athées, agnostiques, incroyants, qui reconduisent sans le savoir les principaux postulats du christianisme. 

TiptopVous ne semblez pas articuler ce malaise post-colonial avec l’image ô combien flatteuse que les Français aiment se donner d'eux-mêmes. Ne pensez-vous pas que le péché originel (plus que l’acte colonisateur en lui-même, propre à beaucoup de nations) a été cette immense et destructrice prétention à vouloir "civiliser" l’autre et au final à s’être trouvé en porte à faux avec les grandes valeurs humanistes que nous voulions porter au-delà de nos frontières ? Est-il supportable de penser que notre sentiment de supériorité (dixit Jules Ferry) nous ait conduit à trahir nos idéaux ?  

Pascal_BrucknerLa France a trahi ses idéaux, mais elle est aussi sortie de l'époque coloniale. Elle a commencé d'ailleurs par "civiliser" les autres nations européennes par la guerre, le feu et le sang. Mais il est incontestable que la France des Lumières a porté un message de paix et d'universalisme dans le monde entier. L'Europe a apporté à la fois le despotisme et l'émancipation au reste du monde. Pareil à un geôlier qui vous jette en prison et vous lance les clés pour en sortir. Mais il est vrai que le sentiment de supériorité des Français aujourd'hui, surtout flatté par les élites politiques, ressort de l'ordre du ridicule, surtout quand notre pays voit son rôle se réduire dans le monde. 

Nicole Nijhof-VollardPensez-vous que les pays colonisés ont, depuis leur indépendance, progressé dans leur développement économique et social ? 

Pascal_BrucknerCela dépend desquels. Si l'on considère l'Inde, la Chine, les petits dragons asiatiques, et quelques rares pays africains, la réponse est oui incontestablement. Pour les autres, c'est plutôt le recul, l'incapacité à édifier un sentiment national, à construire un Etat fort, à manifester un souci du bien public.  Sans compter les guerres, les massacres, les génocides. Peut-être faut-il laisser à ces pays-là le temps de se développer, de la même façon que les nations européennes ont mis près de deux siècles à édifier une vie décente pour leurs citoyens. 

Nicole Nijhof-VollardLa colonisation n'était pas, bien entendu, prévue pour venir à l'aide des pays dans lesquels elle allait s'exercer. Cela dit, n'a-t-elle pas pu unifier les pays - ne serait-ce que contre l'occupant - et, en cela, déjà le faire progresser sur la voie de la modernité en créant une nation (donc un peuple unitaire) qui n'existait souvent pas à l'origine ? 

Pascal_BrucknerAu moment du débat sur les aspects positifs de la colonisation, en février 2005, la presse marocaine a publié une série d'articles très mesurés sur l'action d'unification exercée par les Français au Maroc, notamment la mise au pas des tribus rebelles au pouvoir monarchique. Sans manifester aucun regret pour le protectorat français, les Marocains, avec un sens très pondéré de l'objectivité, ont mis tous ces éléments au compte de l'ancien occupant. 

sylvieCroyez-vous que ce sentiment de culpabilité touche les jeunes générations, qui n'en ont un vécu que très indirect? 

Pascal_BrucknerOui, c'est le paradoxe. On voudrait culpabiliser des gens qui n'ont rien à voir avec la colonisation, et ne peuvent assumer les fautes de leurs pères. C'est pourquoi il est important de leur enseigner l'Histoire objective, sans panégyrique ni honte. Le colonialisme est une affaire du passé, et aucune nation européenne ne manifeste de nostalgie vis-à-vis de cet épisode de son histoire. Pour nous, la page est tournée, et l'idée d'aller envahir ou occuper les territoires d'outre-mer ou étrangers est tout simplement impensable. 

MarinellaEn quoi un film comme Indigènes peut changer le regard des jeunes d'origine maghrébine sur la France ? Le devoir de mémoire revendiqué dans ce film peut-il générer la rancoeur et attiser les ressentiments de cette partie de la population envers la France, plus qu'il ne les apaise ? 

Pascal_BrucknerJe ne crois pas. Le ressentiment n'a jamais été dans l'intention des réalisateurs d'Indigènes. Ils voulaient simplement faire connaître une page ignorée de la deuxième guerre mondiale. Par là-même, ils donnent aux jeunes Français d'origine maghrébine une image plus positive d'eux-mêmes en leur apprenant que leur père ou leur grand-père ont combattu aux côtés des Alliés contre le nazisme. L'affaire des pensions non versées aux anciens combattants sénégalais ou maghrébins est par ailleurs tellement sordide que si le film Indigènes n'avait eu qu'une finalité, verser des pensions décentes à ceux qui ont payé le prix du sang, il aurait réussi. Mais je ne vois aucun motif dans ce film de colère ou de rancoeur contre les Français. Encore une fois, cela s'est passé il y a un demi-siècle. 
Le propos de mon livre ne porte pas uniquement sur la colonisation et ses effets, mais sur le rapport chagriné que l'Europe entretient vis-à-vis de son histoire, qui est tout entière de sang et de fureur. En même temps, l'Europe apporte au monde un exemple extraordinaire de réconciliation et d'émergence de l'apocalypse de la seconde guerre mondiale, qui ferait bien d'être médité par d'autres peuples. Nous sommes sortis victorieux de notre propre barbarie, et cela à lui seul devrait être pour nous un titre de fierté. 

Telerama.fr - 10 Octobre 2006telerama.fr Il n'y a pas d'humanité innocente

octobre 2006

Ségrégations et violences urbainesRevue ESPRIT

 

 

Quand les banlieues voteront...

Stéphane Gatignon

Maire communiste de la ville de Sevran, Stéphane Gatignon est aussi conseiller général de Seine-Saint-Denis.

Fatima Hami

Fatima Hami est membre de l'Association Collectif Liberté Egalité Fraternité Ensemble et Unis (ACLEFEU). Né à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, à la suite des violences urbaines de novembre 2005, ce collectif, après un "tour de France citoyen" dont l'objectif était de recueillir les paroles des Français, a porté, le 25 octobre 2006, ces "cahiers de doléances" à l'Assemblée nationale.

Omar Dawson

Titulaire d'un DESS en commerce international et habitant de la ville de Grigny, dans l'Essonne, Omar Dawson a crée, en 2003, avec deux amis, l'association Grigny Wood, visant à la promotion de projets audiovisuels. Le collectif; outre la réalisation de courts-métrages et de reportages, projette de mettre en place une web TV (télévision sur Internet) centrée sur la culture urbaine et mettant en valeur les actions positives dans les quartiers des zones urbaines prioritaires.

Azouz Begag

Ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances, Azouz Begag est aussi écrivain et chercheur français. Il a publié plus de vingt livres, dont plusieurs romans s'inspirant de son enfance, comme Le Gone du Chaâba ou encore Le Marteau pique-cœur, un hommage rendu à son père.

Mourad Ghazli

Secrétaire national du Parti radical valoisien (associé à l'UMP), Mourad Ghazli est président et fondateur du Club France Fraternité.

Xavier Lemoine

Xavier Lemoine est maire UMP de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis.

 

Dans la nuit de samedi à dimanche, une femme a été brûlée vive dans un autobus, c'était à Marseille, elle est entre la vie et la mort.

Dans la nuit de vendredi à samedi, à Montfermeil, des jeunes s'en sont pris aux forces de l'ordre. Des voyous, ils sont sûrement très peu, commémorent, à leur manière, sinistre, un anniversaire qui n'a pas à être célèbre, et encore moins, fête, celui de la révolte des banlieues, il y a tout juste un an.

Responsabilité des médias, peut être. A voir.

Et la répression ? Nécessaire.

Et au-delà de la répression ? Le logement, le plan Borloo, la rénovation urbaine ; et au-delà, l'emploi ; et au-delà, cela prendra du temps, trois à cinq ans, selon le ministre.

Cela prendra du temps ! Ne pas ajouter une fracture sociale, une guerre des classes, qui a parfois des allures de guerre des civilisations, des religions ou des communautés.

Y aura-t-il un vote des cités ? Quand les banlieues voteront...

D'ailleurs, voteront-elles ? Se reconnaîtront-elles dans un discours politique ou un autre ? Créeront-elles un vote communautaire ?

Quand les banlieues voteront...

Des cités viendra-t-il une voix, un souffle, un message démocratique. Remplacerons-nous les voitures et les autobus en flammes par des images d'urnes pleines qui, mieux que des cailloux jetés à la face des institutions de la République, diront la colère et la volonté de ceux qui se sentent, à tort ou à raison, des exclus du pays ?

Quand les banlieues voteront... un après les émeutes des banlieues...

 

Plusieurs centaines de personnes ont défilé dans le calme, vendredi 27 octobre 2006, à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, afin de rendre hommage à la mémoire de Zyed Benna et Bouna Traoré, les deux adolescents électrocutés il y a un an jour pour jour, alors qu'ils s'étaient réfugiés dans un transformateur électrique au cours d'une course poursuite avec des policiers.

Ce drame avait été suivi par plusieurs semaines de violences urbaines dans les quartiers dits "sensibles" de nombreuses banlieues en France.

A l'issue de la marche silencieuse, Claude Dillain, maire socialiste de Clichy, a lancé un appel au calme en direction des jeunes des banlieues, un message relayé par les familles et les amis de Zyed et Bouna.

Un an après les émeutes, la tension en effet demeure dans les banlieues. Ces dernières semaines plusieurs incidents sérieux se sont déroulés entre jeunes et forces de sécurité, parfois pris dans des guets-apens. Plusieurs bus ont aussi été incendiés et une jeune femme a été grièvement brûlée dans l'un d'entre eux.

 

Les acteurs de terrain ainsi que de nombreux habitants interrogés par des médias, très présents ces derniers jours, confirment les risques d'une résurgence de la violence. Et les maires soulignent qu'à la moindre étincelle, tout peut recommencer, même si beaucoup jugent que la presse en a trop fait sur un "anniversaire" de nature à "raviver" les passions.

Claude Dilain, a évoqué la "désillusion" de nombre d'habitants, expliquant : "On ne peut nier qu'on a obtenu certaines choses mais globalement les Clichois sont très déçus". Revenant sur la situation sociale de sa ville, il a expliqué qu'il faudrait que "les habitants de Clichy bénéficient des mêmes services publics que les autres Franciliens, alors qu'il faut aujourd'hui une heure et demie pour rejoindre le centre de Paris, qu'il n'y a pas d'ANPE ni d'Assedic alors qu'il y a 10 % de chômeurs, et pas non plus de caisse d'allocation familiale. Mais ça, ça dépend des orientations politiques générales".

Le Premier ministre qui n'entendait pas laisser dire que "rien n'a été fait dans les banlieues" depuis les émeutes de 2005, même s'il a admit que "tous les problèmes ne seront pas résolus en un jour", a insisté, ce jeudi 26 octobre, lors de sa conférence de presse mensuelle, réalisée à Cergy-Pontoise, sur l'"action de fond" engagée depuis un an par son gouvernement et a mis en avant trois axes.

Au niveau de l'emploi, le chef du gouvernement, affirmant que l'"on ne peut accepter que les jeunes des quartiers aient moins de chances que les autres d'avoir un emploi", a insisté sur la nécessité de mettre en place un accompagnement spécifique des jeunes dans leur recherche d'emploi et a rappelé que quinze nouvelles zones franches urbaines avaient été créées pour "revitaliser les quartiers".

Face aux récentes violences dans les banlieues, notamment contre des policiers, le Premier ministre a réclamé des "sanctions immédiates et exemplaires" contre leurs auteurs. "Nous refusons dans notre pays toute zone de non droit".

Dernier axe : l'éducation. Dominique de Villepin a annoncé toute une série de réformes pour améliorer l'orientation des élèves et leur insertion dans le monde du travail : entretien d'orientation en troisième, dossier unique d'accès à l'enseignement supérieur en terminale et suivi des affectations à la sortie du baccalauréat dans chaque académie. "L'école est le premier moteur de la réussite et de l'ascenseur", a-t-il souligné, "et il est impératif de le relancer."

Le même jour, le premier "anniversaire" de l'explosion de la crise des banlieues était au cœur de la quatrième confrontation entre les trois prétendants à l'investiture socialiste, réunis au Zénith de Paris, devant plus de 6 000 militants.

Prenant la parole le premier, Laurent Fabius a dénoncé l"'échec total" du ministre de l'Intérieur. "Il faut que les électeurs, et notamment ceux des banlieues qui veulent que reviennent la paix civile et l'harmonie et que ces quartiers aient une chance, votent et décident en 2007 de mettre monsieur Sarkozy en retraite !"

S'adressant à son tour à Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn lui a demandé de faire un "signe", poursuivant : "Il faut retirer maintenant les cars de police des cités... Ce ne sont pas des terrains conquis militairement et qu'il faut occuper, ce sont des villes où il y a nos jeunes".

Quant à Ségolène Royal, elle a préféré insister sur l'intégration : "Si la République tient sa promesse égalitaire... et si la France et si la nation reconnaissent enfin comme légitimes tous leurs enfants d'où qu'ils viennent en cessant de les appeler de la première, de la deuxième, de la troisième génération... alors les choses changeront dans notre pays".

Enfin, les trois candidats sont tombés d'accord sur la nécessité de mettre en œuvre une "autre politique de la sécurité" en rétablissant "d'urgence" la police de proximité. Même consensus sur la nécessité d'accorder davantage de moyens aux quartiers sensibles.

Le sujet des banlieues s'est donc invité dans la campagne électorale, avec un nouvel affrontement droite-gauche sur les mérites respectifs de l'autorité et de la solidarité.

Novembre 2005, les "quartiers sensibles" s'enflamment pendant vingt-quatre jours.

Un an après, on se souvient de la mort de Zyed et Bouna, des 149 membres des forces de l'ordre blessés, des 10 000 véhicules brûlées, des 233 bâtiments publics et 74 bâtiments privés incendiés.

On se souvient des 3 200 interpellations, 1 600 poursuites judiciaires - dont 785 personnes écrouées -, des 551 mineurs déférés et des cinq policiers mis en examen.

On se souvient enfin de la visite d'une brochette de vedettes, telles que Jamel et Joey Starr, des collectifs Devoirs de mémoires et AC Le feu, débarquant un jour de décembre à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour inciter les jeunes des cités à s'inscrire sur les listes électorales. Mais cette ambition s'est-elle concrétisée ?

Au ministère de l'Intérieur, on note que fin 2005, il n'y a pas eu de croissance du nombre d'inscriptions après les émeutes. 300 000 personnes se seraient présentées cette année-là aux guichets d'état civil des mairies. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, fin 2005, une augmentation de 2 % des inscriptions a été enregistrée. Une hausse expliquée par le ministère de l'Intérieur par "la croissance démographique". Une augmentation devenant "significative" au-delà de 3 %.

Pourtant, des pics d'affluence ont été observés dans certaines villes, notamment en banlieue (Nanterre : + 25 %, Bobigny : + 26 %).

Le club des élus Allez la France estimait, en janvier 2006, que "la hausse des inscriptions sur les listes électorales varie selon les villes de 7 % à 32 %" par rapport à 2004.

Les mobilisations citoyennes qui ont suivis les émeutes de novembre y ont-elles contribué ? Certain comme Rachid Nekkaz, président du club des élus Allez la France et candidat à la présidentielle parle "d'une conscientisation des jeunes" après les émeutes. Selon d'autres, comme Franco, rappeur du groupe de La Brigade, qui a impulsé l'association Vote ou crève dans une cinquantaine de communes, qui relativise l'action d'incitation : "Pour renverser une attitude, il faut du temps".

Signe des temps pourtant, depuis quelques mois, le tee-shirt au slogan "Vote ou crève" est porté par de nombreux jeunes dans les rues des quartiers sensibles. Et quand on interroge certains sur le vote, les réponses tombent comme des évidences : "Voter bien s^r", avec pour première motivation : "Ne pas revivre de 21 avril 2002".

Alors frémissement ou prise de conscience ? Réponse le 22 avril 2007.

Né à Clichy-sous-Bois à la suite des violences urbaines de 2005, le collectif AC Le feu a sillonné le pays lors d'un "tour de France" de mars à juin 2006. Les militants se sont donnés pour mission de "permettre aux gens de mettre des mots sur leurs maux". 120 villes au total ont reçu la visite du minibus d'AC Le feu, 20 000 "constats et doléances" ont été recueillis.

Le 25 octobre 2006, deux jours avant la "commémoration" du drame de Clichy-sous-Bois qui avait vu, le 27 octobre 2005, la mort de deux jeunes, électrocutés alors qu'ils fuyaient les forces de l'ordre­, point de départ de la crise dans les banlieues, ils ont organisé une marche vers l'Assemblée nationale afin de remettre aux institutions les "doléances" qu'ils ont récoltées dans les 120 villes de France visitées.

Après avoir essuyé un refus du président de l'Assemblée, Jean-Louis Debré, ils ont finalement pu rencontré et les remettre aux représentants des quatre groupes politiques : Frédéric Dutoit et Patrick Braouezec pour le PCF ; Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste ; Hervé Morin, président du groupe UDF, et Gérard Hamel, chargé de la ville au sein du groupe UMP.

Au Sénat, les représentants d'AC Le feu ont été reçus par une délégation comprenant les différents groupes politiques. Y figurait le sénateur UMP de l'Aisne, Pierre André, rapporteur de la mission d'information du Sénat sur les quartiers en difficulté.

Les doléances

L'emploi arrive en tête des priorités exprimées, devant le logement, les inégalités et les discriminations. L'insécurité arrivant bien après. Extraits des doléances.

L' emploi

*

Création d'une loi portant un quota minimum de salariés de moins de 25 ans dans les entreprises

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Hausse du Smic et des salaires

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Redistribution des bénéfices en salaires, primes ou actions

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Création d'une allocation d'autonomie pour les jeunes de 18 à 25 ans en formation ou en insertion

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Développement des CDI

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Contrôle de l'égalité des salaires entre hommes et femmes

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Formation obligatoire et aux frais des entreprises

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Création massive de postes d'inspecteurs du travail, pour assurer cette mission et renforcer celle de contrôle des entreprises

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Lutter contre les délocalisations par le remboursement des aides reçues par les entreprises s'il y a délocalisation

*

Renforcement des services publics d'aide à l'emploi et à l'insertion professionnelle

*

Aide massive aux associations chargées de l'insertion de la jeunesse

*

Création d'une banque nationale d'aide à la création d'entreprise par des jeunes

*

Rétablissement des emplois jeunes, qui doivent être qualifiants et dont le recrutement doit être mieux étalés en terme de qualification initiale (recruter certains avant le bac, pour certains postes)

*

Développer le nombre de place en BTS et en IUT ainsi que leur couverture géographique

*

Assurer l'apprentissage de la conduite automobile dans le cadre scolaire

Les discriminations

*

La discrimination positive et le CV anonyme ont suscité des avis partagés : la plupart les dénoncent, mais certains les proposent, en désespoir de cause

*

Une prise en compte plus importante des plaintes déposées pour discrimination, accompagnée de sanctions plus lourdes

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Garantir l'égal accès aux services publics sur tout le territoire français : établissements scolaires, centres de Sécurité sociale, agence ANPE...

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Une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers

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Le lancement d'une grande campagne médiatique de dénonciation et de sensibilisation contre les discriminations avec les méthodes et les moyens utilisés pour la sécurité routière

*

Le développement à l'école d'apprentissage valorisant les différentes cultures, notamment au travers de l'art, la littérature et l'histoire

*

L'augmentation et la pérennisation des moyens des associations d'éducation et de lutte contre le racisme et les discriminations

*

L'enseignement d'une histoire partagée et plus juste (sur la colonisation et les traites)

Le logement et le cadre de vie

*

Pénalisation des entreprises polluantes

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Favoriser les produits biodégradables et/ou recyclables

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Favoriser la recherche et la mise en œuvre des énergies alternatives face aux énergies fossiles et au nucléaire

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Création d'un droit constitutionnel au logement

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D éfinition d'un "plan Marshal" pour le logement

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R espect des obligations de la loi SRU, sans dérogation : suspension ou inéligibilité des maires récalcitrants

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Dispersion des HLM dans les villes

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Développement des commerces de proximité et répartition des services publics et culturels dans toute la ville

*

Mise en place d'un droit spécifique favorisant l'accès au logement

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Revaloriser l'APL

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Création d'une loi d'encadrement des loyers privés et des conditions d'attribution

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Limiter les hausses de loyer en fonction de ratio raisonnable entre loyers et salaires

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Création d'une Caisse nationale d'assurance sociale pour les cautions

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Construction de nouveaux logements sociaux (en HLM, de toutes tailles, dans de petites unités de logements, avant de procéder à des destructions

*

Réquisition des logements et bureaux vides

*

Mise en place d'une allocation d'autonomie pour les jeunes en formation ou en insertion qui leur permet de s'installer seuls ou en couple

*

Création d'emplois pour l'entretien des cités pour des jeunes de la cité

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Création de cadres de concertation bailleurs sociaux et habitants

*

Contrôle du rapport entre les charges et le loyer, et contrôle sur les syndics, au travers d'une commission départementale du logement qui associe pouvoirs publics, bailleurs privés et locataires

*

Condamnation judiciaire des marchands de sommeil

*

Accompagnement des locataires en difficulté pour payer les loyers

Justice

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Privilégier la prévention et les alternatives à l'incarcération

*

Développer le travail de réinsertion dans les prisons et les formations diplômantes ou qualifiantes

*

Payer décemment le travail des prisonniers

*

Définir une vraie politique de libération conditionnelle

*

Développer les parloirs familiaux, garantir l'intimité et un environnement adapté aux enfants pendant les visites

*

Arrêter de répondre par l'incarcération à la maladie mentale

*

Mettre fin à la politique de ghettoïsation ethnique dans les prisons

*

Création de postes d'éducateurs notamment spécialisés dans l'insertion professionnelle, de psychologues, de médecins, dans les prisons

*

Promouvoir la diversité des origines (sociale, culturelle et ethnique) dans le recrutement des magistrats et des autres membres du tribunal, sur le modèle de l'IEP de Paris

*

Réformer le recrutement pour que les magistrats soient moins coupés de la réalité qu'ils ont à juger (suppression de la limite d'âge...)

*

Accélération du traitement des affaires par les tribunaux

*

Refonte du système des honoraires des avocats

*

Application des lois à tous, sans privilèges de position, de richesse...

Retrouvez un résumé des "constats et doléances" sur le site du collectif AC Le feu.

(Sources : AFP, AC Le feu)

 

 

Un an après, les banlieues

une édition spéciale
suivie d'une semaine thématique

Du 20 au 27 octobre, KTO vous propose de poser un autre regard sur les banlieues. Magazines, documentaires, interviews : toute la rédaction de KTO se mobilise autour de la même thématique. Pour introduire cette semaine exceptionnelle, la chaîne diffuse une édition spéciale de 2h10.

« Joue-la comme la vie »

wpeD.jpg (3721 octets)> Dimanche 22 octobre à 22.20

Dans la cité des Bosquets à Montfermeil, en région parisienne, la place de la femme n’est guère enviable. Elle est celle des vingt sept ethnies qui composent sa population, d’immigration souvent récente.
C’est pourtant là, qu’en classe de cinquième, une bande de « blacks-blanches-beurs » décident de monter une équipe de foot malgré la pression sociale, les parents, et les moqueries des garçons…Quatre ans plus tard, elles sont premières de leur championnat des moins de 16 ans. En suivant Imane, Marie, Zahra, Gaëlle, Cama, Souad et les autres : chez elles, à la sortie des cours, à l’entraînement sportif, pendant les matches, nous écoutons leurs confidences sur ce qu’ont changé en elle ces années d’une pratique sportive réservée aux garçons.
Le processus d’émancipation qu’elles ont enclenché, un peu sans en prendre conscience, a profondément modifié leur place, dans un quartier dominé par les hommes.

Réalisé par Hubert BrunouUn an après, les banlieues

jeudi 2 novembre 2006

Un débat piégé

Denis Sieffert

Voir sur le site www.pour-politis.org les dernières informations concernant l’avenir de Politis et le point sur notre souscription.

Dans leur pathétique impuissance, les responsables politiques n’ont que ça : labrutalité des mots, la rodomontade et le mouvement de menton. Ils n’ont rien dit ni fait autre chose après le drame du quartier Saint-Jérôme, samedi soir à Marseille. Au-delà de l’indignation, il est vrai que le commentaire n’est pas facile. Que dire ? Des gamins, abêtis par l’ennui, plongés dans le vide sidéral de leur propre vie, désespérés encore plus par l’absence d’avenir que par la rudesse du présent, immobilisent un autobus, déversent de l’essence et craquent une allumette. Cen’aurait été qu’un geste d’une insondable sottise si, à l’intérieur du bus, une jeune femme de 26 ans n’avait été happée par les flammes, et brûlée effroyablement. En un instant, lejeu stupide est devenu un crime. Pour autant ce n’est pas un fait divers. Lecrime n’a aucun mobile. Ces jeunes gens n’ont pas dévalisé une banque. Ils ne voulaient pas d’argent. Ils n’ont pas cherché à se venger d’un ennemi. Ils ont fait ça pour rien. Ils ont donné sinon la mort, du moins la souffrance, à quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas et qui peut-être leur ressemble. Ce n’est pas un fait divers et ce n’est pas non plus le dégât collatéral d’une émeute. L’incendie du bus de Marseille ne résulte pas d’une explosion de colère. La malheureuse victime n’a pas été prise au milieu d’un affrontement. Cela s’apparente plutôt à ces jeux qui côtoient la mort, genre roulette russe, jeu du foulard ou défi façon James Dean dans la Fureur de vivre. Vous vous souvenez de cette scène où des adolescents jouent à se jeter le plus tard possible hors d’une voiture envoyée pied au plancher vers le précipice ? Avec cette circonstance aggravante que les jeunes gens de Marseille mettent en danger la vie des autres plus que la leur.

« Révoltant », « inacceptable », « ignoble », « salopards », on en passe et des meilleures. Devant ce drame, les politiques disent comme tout le monde. C’est une surenchère dans l’indignation. Et, après tout, ce n’est pas interdit. Mais après cela, on exige d’eux qu’ils nous disent plus, qu’ils aillent plus loin que le commun des mortels lisant le récit du drame au zinc du café. Quelle solution ? Qui est responsable ? Comment éviter que cela se reproduise ? Et c’est ici que le débat devient piégé et que l’impuissance devient palpable. Car si le crime de Marseille est d’abord un crime, c’est aussi un fait de société. Les deux doivent toujours être envisagés, mais toujours distinctement. Le crime doit être puni et les coupables ne peuvent être regardés comme des « victimes de la société ». Là-dessus, il ne peut y avoir aucun débat ni aucune vaine polémique. Au fond, la politique n’a pas grand-chose à dire sur cette question si ce n’est qu’elle doit donner les moyens à la police et à la justice de bien faire leur travail. Il n’est même pas sûr que le véritable débat soit ici « police de proximité » (option socialiste) ou « CRS » (version UMP), « maisons de quartiers » ou pas « maisons de quartiers », « éducateurs » ou « Brigades anti-criminalité ». Ce débat par ailleurs existe, et ne nous laisse évidemment pas indifférent, mais l’affaire de Marseille renvoie sans aucun doute à des réponses plus profondes. On les connaît. Tout le monde les connaît. Si ces jeunes gens travaillaient, s’ils étaient insérés dans une société active, fiers et soucieux de leur propre image, mêlés à d’autres venus d’autres horizons et pensant différemment, s’ils poursuivaient dans la vie des buts socialisés, ils auraient sans doute d’autres jeux. S’ils savaient ce que c’est qu’un autobus, qu’un service public, que la mort, que leur propre dignité, ils agiraient sans doute autrement.

Mais nous venons en quelques mots de poser tous les problèmes du monde. Non seulement ceux de la mixité sociale, mais d’une autre répartition des richesses et d’une autre morale collective que celle de la réussite individuelle à tous crins. Certes, dans une société qui se pencherait vraiment sur ces questions-là, il y aurait encore des fous et des criminels, mais les jeunes incendiaires de Marseille, assurément, n’en feraient pas partie. Le drame, avec l’idéologie sécuritaire qui envahit notre monde, et dont Nicolas Sarkozy n’est qu’un avatar français, ce n’est pas que l’on veuille punir avec sévérité les coupables d’un crime, mais que l’on prétende régler le problème de société comme on traque un criminel. De façon symptomatique, notre inquiétant ministre de l’Intérieur, chaque fois qu’il y a un crime, envisage d’abord de changer la loi. Il ne sait encore rien des auteurs de l’agression de Marseille que déjà il veut faire une loi particulière contre les « mineurs multirécidivistes ». Sans que l’on sache si ceux-là sont mineurs et récidivistes. Sans savoir qui ils sont et moins encore la sanction qu’ils encourent, il parle de « peines planchers ». Il n’a de cesse de réduire la marge de manoeuvre des juges ; de leur ôter le droit de juger de façon singulière des cas singuliers. Car la justice juge des cas ; elle ne résout pas des problèmes de société. La logique de Nicolas Sarkozy est celle du rétablissement de la peine de mort. Il ne parle pas aux jeunes paumés de Marseille ou d’ailleurs, il ne parle qu’à des électeurs. Et il leur dit toujours la même chose : qu’il suffirait de remplacer les responsables politiques et les juges par des bourreaux pour que tout aille mieux.

Banlieues : le noyau dur de la violence, par Luc Bronner

LE MONDE  le 01.11.06

 

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Un an après les émeutes d'octobre et novembre 2005, la France vient de subir une piqûre de rappel sur la question des violences urbaines. La crainte de la célébration d'un "anniversaire" a certes été écartée, le nombre d'incidents restant finalement assez limité. Mais le degré de violence atteint ces dernières semaines - agressions voire tentative d'homicides de policiers dans des quartiers sensibles, attaques et incendies de neuf bus en une semaine - témoigne de la radicalisation de noyaux durs d'adolescents ou de jeunes adultes. Ces incidents, impliquant un nombre limité mais très actif de jeunes venus de quartiers défavorisés, constituent tout sauf un épisode isolé.


 

 

En moins de deux ans, c'est en effet le quatrième épisode de violences collectives impliquant les banlieues que la France vient de traverser. Le rappel chronologique des événements antérieurs est douloureux : en mars dernier, des centaines de jeunes de banlieue, agressent violemment des lycéens et des étudiants qui défilent à Paris contre le projet de contrat première embauche (CPE) ; en octobre et novembre 2005, la France traverse trois semaines d'émeutes, pendant lesquelles 10 000 véhicules et des centaines de bâtiments sont incendiés ou dégradés ; en mars 2005, enfin, des centaines de "casseurs" des quartiers sensibles d'Ile-de-France agressent violemment des lycéens qui manifestent à Paris contre la loi Fillon sur l'école.

Au-delà de ces épisodes spectaculaires, ces incidents témoignent d'une tendance de fond plus qu'inquiétante : les violences sur les personnes n'ont cessé de croître depuis dix ans (+ 80 %) - ce qui avait déjà fortement pesé sur la campagne présidentielle de 2002. Dans les transports en commun, aux abords de certaines cités, les vols avec violence deviennent des violences avec vols, selon l'expression d'un maire de Seine-Saint-Denis, tant les coups portés paraissent démesurés par rapport au gain crapuleux attendu.

Policiers et élus locaux, de droite comme de gauche, considèrent que les émeutes de 2005 ont contribué à lever certains interdits. Comme les habitants de ces quartiers, ils évoquent des groupes de quelques dizaines de "gamins" capables du pire dans chaque cité. Des "émeutiers" maîtres de leur territoire en particulier la nuit : bien qu'ultraminoritaires, ces adolescents ou jeunes adultes imposent aux milliers d'habitants, à leurs voisins, à leurs familles, des violences urbaines quotidiennes avec dégradation du mobilier public, rodéos automobiles, incendie de poubelles et de véhicules, etc. Près de 8 000 actes de ce type ont ainsi été recensés en moyenne chaque mois depuis le début de l'année.

Les motivations du noyau dur des jeunes délinquants restent évidemment difficiles à établir, mais quatre facteurs, au moins, semblent se conjuguer. Le premier est d'ordre social : à travers ces violences, cette minorité de jeunes exprime sa révolte face aux inégalités sociales et aux discriminations. Avec une limite toutefois : ces explications sont généralement apportées par les autres habitants des quartiers - pas tellement par les auteurs de violence eux-mêmes, peu prolixes sur la justification du recours à la violence.

La dimension économique ou matérielle, ensuite : qu'il s'agisse de vols d'objets (téléphones portables ou voitures) ou de la protection du "business" local, la violence remplit une fonction rationnelle. Il s'agit de faire peur aux victimes, de limiter leurs réactions immédiates, d'interdire les témoignages et de compliquer le travail de la police et de la justice. Les forces de l'ordre estiment ainsi que les violences urbaines constituent une "réponse" à leurs interventions dans les quartiers pour démanteler les réseaux criminels. Dans certains cas, les policiers sont convaincus que les violences urbaines sont directement instrumentalisées par les organisateurs des trafics de stupéfiants et de voitures volées.

ASSIMILÉS À DES "RACAILLES"

La dégradation des rapports entre les jeunes et la police constitue un troisième facteur déterminant. La forte présence policière dans ces quartiers, notamment des compagnies républicaines de sécurité (CRS), provoque des tensions répétées - comme l'ont montré les doléances remises à l'Assemblée nationale par le collectif AC-le feu, le 25 octobre. Les jeunes, comme leurs parents, se plaignent de la multiplication des contrôles d'identité ciblés sur les adolescents de banlieue assimilés à des "racailles". De ce sentiment de harcèlement injustifié, naît un désir de revanche, voire de vengeance pour ceux qui estiment avoir été victimes de violences ou d'insultes de la part des forces de l'ordre.

L'aspect ludique des violences représente une dernière explication. Dans son ouvrage, Le Frisson de l'émeute (Seuil, 222 pages, 16 €), le chercheur Sébastian Roché évoque "une dimension festive" pour une partie des jeunes concernés. "Comme dans tous les comportements démonstratifs qui se donnent à voir, au bout du compte, ce n'est pas le gain ou la perte qui est décisive. Le plaisir de l'action est plus important que la victoire." Pour ces jeunes, la recherche d'adrénaline vaut largement une prise de risque physique (lors des affrontements) et judiciaire (en cas d'interpellations). Au risque de commettre des actes d'une bêtise sans nom - y compris pour la vie quotidienne de leurs proches (dégradation des abribus, incendie des voitures des voisins, interruption des transports collectifs, par exemple).

Une partie des jeunes de ces quartiers se place dans une logique d'émulation et de mimétisme. Celle-ci était apparue de manière spectaculaire en novembre 2005 avec l'extension progressive des violences d'une ville, puis d'un département, à l'autre. Les journaux télévisés avaient, alors, été accusés d'avoir contribué au phénomène de compétition. Depuis, d'autres médias ont pris le relais : les blogs, en premier lieu, dont plusieurs centaines s'inscrivent de façon très claire dans une logique de concurrence. Les vidéos, ensuite, qui circulent sur Internet par les sites d'échange (sur YouTube, par exemple) ou qui sont envoyées de mobile en mobile par MMS (messages multimédias). Chaque quartier joue ainsi, en partie, son prestige dans l'univers "ghetto".

Les craintes restent élevées pour les prochains mois. Non pas tant pour un mouvement d'ampleur - le niveau de violence de ces derniers jours est probablement trop élevé pour beaucoup d'"émeutiers" de 2005, qui peuvent participer à un incendie de voiture mais n'imaginent pas agresser un policier ou un particulier. Mais plutôt en raison d'un risque de multiplication d'incidents ponctuels, quartier par quartier. Le feuilleton des violences, donc de son utilisation politique, n'est pas terminé.

LUC BRONNER

 

Le Monde.fr Banlieues le noyau dur de la violence, par Luc Bronner



Clichy sans clichés
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Arte. Une remarquable fiction revient sur l’affaire qui a embrasé les banlieues françaises en novembre 2005.


Le 27 octobre 2005, trois jeunes de Clichy-sous-Bois poursuivis par la police se réfugient dans un transformateur EDF. Deux y mourront électrocutés, le troisième grièvement blessé trouvera la force de donner l’alerte. Dès le lendemain du drame, le ministre de l’Intérieur soutient une version mensongère des faits : il n’y a pas eu de course-poursuite. Il faudra attendre huit jours pour que soit ouverte une information judiciaire. Cette vérité, niée au plus haut sommet de l’Etat, sera le détonateur d’une explosion sans précédent des banlieues françaises. Trois semaines d’émeutes ont réveillé la mauvaise conscience d’une société sourde à la détresse de ses cités. Plus d’un an après, du côté des autorités, le silence a remplacé les déclarations tonitruantes. Les institutions démocratiques ont failli, des familles ont été méprisées, c’était à 17 km de Paris, surtout n’en parlons-plus…

Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Cinq mois après les faits, Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, les avocats des familles de Bouna et Zyed, et de Muhittin, le survivant, publient L’Affaire Clichy, Morts pour rien, un livre d’entretiens dénonçant la tentative d’étouffement de la vérité. Grâce à la productrice Fabienne Servan-Schreiber, leur « passion citoyenne » pour cette affaire trouve aujourd’hui un relais à la télévision, sous la forme inattendue d’une fiction. Libre adaptation du livre, L’Embrasement en restitue la force d’engagement et la dimension humaine. Chose rare, le projet sera finalisé en six mois grâce à la mobilisation de toute une équipe. Echéance électorale oblige.

Le premier à entrevoir la trame d’une fiction sous les mots des deux avocats, c’est Marc Herpoux, coscénariste du téléfilm. Il impose très vite sa conviction, qui sera aussi celle de Philippe Triboit, réalisateur et coauteur : pour exister, la fiction doit décoller des faits. En élargissant le propos au-delà des contours de l’affaire, L’Embrasement éclaire, à la manière d’un instantané, un peu de la réalité humaine qui se cache derrière le malaise des banlieues. Il a été conçu comme un objet romanesque à part entière intégrant sans complexe une dose de suspense ou d’émotion. Et introduit pour cela des personnages imaginaires : Alex, le journaliste Belge et son regard distancié, Sylvie, une policière au bord de la dépression, et un jeune émeutier, Ahmed, partagé entre rage et chagrin. Des personnalités à la fois justes et emblématiques qui ne croisent jamais les protagonistes réels pour ne pas influer sur le cours des événements.

Malgré les précautions, le choix de la fiction pour traiter un dossier aussi brûlant a de quoi susciter le doute. Difficile, en effet, de ne pas s’interroger sur la mise en image d’une affaire toujours en cours d’instruction (1). Pourtant, loin de constituer un obstacle, cette situation a guidé l’écriture du scénario. Tout ce qui est montré est avéré par les témoignages, le rapport de l’IGS (2) – la police des polices –, et le PV d’audition de Muhittin (3). Ces éléments sont distillés tout au long du film en réponse aux déclarations du ministre de l’Intérieur intégrées à la narration. Dans ce démontage cru de la version officielle, le film affirme sa raison d’être et comble, contre toute attente, un trou de mémoire collectif. Qui, sur la scène médiatique, s’est soucié de demander des comptes à Nicolas Sarkozy, et aux pouvoirs publics, pour la gestion catastrophique de cette affaire ? « Le but est d’intéresser des gens qui a priori ne se sentent pas concernés par le sujet », explique Philippe Triboit. Une démarche à laquelle Jean-Pierre Mignard adhère totalement : « Nous soutenons tout ce qui peut empêcher l’étouffement de l’affaire, à la condition qu’il n’y ait aucun risque de polémique préjudiciable à nos clients. »

De ce pari risqué aurait pu naître le pire, il en sort le meilleur : une œuvre dense, rigoureuse et engagée. « L’Embrasement est un film politique au sens républicain du terme, pas un film militant, explique Philippe Triboit. La manière dont il s’est fait était aussi importante que son contenu. » Rien n’aurait été possible sans l’approbation des familles et leur relecture vigilante du scénario. Le tournage sur les lieux du drame a aussi permis la participation de nombreux habitants de Clichy.

S’il adopte le point de vue des victimes, le téléfilm – et c’est sa grande force – évite toute vision manichéenne du fossé qui sépare les jeunes, la police, les institutions, les politiques. A aucun moment il ne s’agit de pointer du doigt des coupables, et encore moins de stigmatiser les forces de l’ordre. « Nous n’avons pas pu rencontrer les policiers de Livry-Gargan [il n’y a pas de commissariat à Clichy, NDLR], regrette Marc Herpoux, mais nous avons vu des reportages sur le mal-être des policiers en banlieue. Ils subissent une pression énorme. »
Mesuré et nuancé, le film ne tombe pas pour autant dans la démonstration tiède, ni même dans une forme d’angélisme. Il s’attache à travers le regard d’Alex, le journaliste belge, à remplacer par des visages et des destins individuels des termes génériques chargés de fantasmes. Et explore jusque dans sa plus absurde réalité un monde où « les jeunes courent parce que la police les course, et la police les course parce que les jeunes courent… ».

Courir comme Zyed, Bouna et Muhittin, parce qu’on n’emmène pas ses papiers pour jouer au foot, courir pour ne pas passer des heures au commissariat, et pour ne pas faire déplacer les parents un soir de ramadan… Cette vérité-là, aussi simple et éclairante soit-elle, n’a jamais fait les gros titres.
Isabelle Poitte
(1) Deux plaintes ont été déposées, l’une pour non-assistance à personne en danger, la seconde pour mise en danger délibérée
de la vie d’autrui.
 
(2) Début décembre, un rapport de l’IGS établit qu’il y a eu deux poursuites successives dont l’origine est l’intrusion de quelques jeunes sur un chantier privé. Il pointe également « la légéreté » d’un des policiers et le manque d’initiative de plusieurs autres, qui n’ont pas jugé utile d’appeler les services EDF.
 
(3) Les conditions de cette audition menée à l’hôpital ont été qualifiées de « manquement à la déontologie » par la Commision nationale de déontologie de la sécurité (CNDS).
 
A VOIR
L’Embrasement (TT), vendredi 12, 20h40, Arte.


Télérama n° 2973 - 6 Janvier 2007telerama.fr Clichy sans clichés

 

Banlieues, agents provocateurs, Sarkozy

28 mai 2007

par Yves Ducourneau

Qui se souvient des incendies de bus d’octobre 2006 ? Survenus dans un contexte étrangement calme, certains incendies ont laissé une impression “d’organisation” : les incendiaires étaient cagoulés et armés et s’évanouissaient aussitôt leur forfait commis. Inversement, d’autres incendies avaient une allure “amateur” et étaient commis par des jeunes gens qui voulaient imiter les premiers et qui, malheureusement, ont parfois failli tuer des passagers, comme à Marseille.



À l’époque, un communiqué du Parti Communiste Français (PCF) décrit certains incendies comme des actions « manifestement très organisées » (1), tandis que le site d’information alternatif bellaciao évoque une « opération de barbouzage » (2), autrement dit menée par les services secrets. Barbouzage : le mot est lâché. Or, Wayne Madsen, l’un des meilleurs journalistes d’investigation étasuniens (il fut sélectionné pour interroger la Commission d’enquête sur le 11 septembre), révèle sur son site Wayne Madsen Report (WMR) que certains incendies de bus dans les banlieues françaises étaient le fait d’agents provocateurs, financés par une caisse noire alimentée par des saisies dans les affaires de drogue, le tout... sous la houlette de Nicolas Sarkozy (3). À en croire Madsen, le reproche fait à Sarkozy par de nombreux cadres de la gauche d’avoir mis le feu aux banlieues pourrait bien se révéler être à prendre au pied de la lettre ! Madsen tient son information d’une source appartenant aux services secrets français et qui qualifie par ailleurs Nicolas Sarkozy de « petit Hitler français » - chacun appréciera la formule.

Une enquête allemande confirme en partie

En matière de services secrets, la prudence reste de mise : une manipulation est toujours envisageable et on a rarement de certitudes à chaud. Toutefois, un journaliste allemand, Udi Ulfkotte, confirme la présence des agents provocateurs dans les banlieues françaises et Madsen lui-même est fin connaisseur des services secrets et de politique internationale. Par ailleurs, observons le fait suivant : une manipulation ne fonctionne que si elle se propage dans l’opinion. C’est pourquoi les manipulateurs préfèrent s’adresser à la presse nationale plutôt qu’à un journaliste étranger sans relais médiatique national - fut-il bon. Un exemple ? La “petite” affaire Clearstream (l’affaire française) s’est essentiellement propagée grâce à la presse et notamment au journal Le Monde. Si elle s’est propagée si fortement, c’est parce qu’elle émanait d’un grand journal. L’information du Wayne Madsen Report établissant une connexion entre Nicolas Sarkozy et un réseau de barbouzes opérant dans les banlieues n’a pas suivi ce circuit et qui plus est, a été confirmée en partie par une deuxième enquête, celle d’Udi Ulfkotte. Par conséquent, l’évidence est de dire que nous n’avons pas ici la signature d’une manipulation - au contraire.

L’autre examen de l’information du Wayne Madsen Report consiste à se demander si elle s’inscrit logiquement dans ce que nous savons. Selon Madsen, c’est le cas puisque Sarkozy et la politique qu’il s’apprête à mener sont qualifiés de néo-conservateurs. Or, nous savons que la doctrine néo-conservatrice comporte notamment l’idée que la défense de la démocratie s’opère mieux en présence d’un ennemi extérieur et qu’en l’absence d’un tel ennemi, il convient de le fabriquer. La doctrine néo-conservatrice recycle la “stratégie de la tension”, technique bien connue de nos amis des services secrets, ici à peine enrobée pour séduire des gouvernants de plus en plus décomplexés. “Fabriquons la violence pour pousser la population à rechercher l’autorité et la sécurité en échange d’une diminution de leurs libertés”, telle pourrait être la devise des néo-conservateurs qui, outre-Atlantique, excellent en travaux pratiques.

Les émeutes urbaines nourrissent la peur, qui nourrit le vote Sarkozy : tout se tient

Malgré la cohérence de l’information apportée par le Wayne Madsen Report, gardons par prudence l’idée que cette information est vraie avec une chance sur deux. À quoi sert une telle information ? Eh bien, outre sa gravité potentielle, à nous rendre vigilants. Dans l’absolu, une dérive est toujours possible et c’est notre négligence qui la rend possible. Tous les citoyens, qu’ils aient voté ou non pour Nicolas Sarkozy, devraient garder cette information dans un coin de leur tête et se montrer particulièrement attentifs dans les mois et les années à venir. Chaque mois, chaque année qui passera sans débordements de violence « manifestement très organisé(s) » montrera non pas que l’information du Wayne Madsen Report est erronée mais que l’action des barbouzes a été limitée dans le temps. Inversement, si des émeutes se produisent, les citoyens devront s’attacher au moindre détail : le mode opératoire dénote-t-il une grande organisation ? La violence est-elle montée progressivement ou a-t-elle été précédée de “pics” ? (les pétards dans la poudrière...) A-t-on interpellé les fauteurs de trouble et sont-ils crédibles vis-à-vis des faits reprochés ? Le gouvernement présente-t-il à chaud un texte de loi dont la sophistication suggère qu’il était préparé ? Cette vigilance est le devoir sacré de tout citoyen, quel que soit le président de la République élu, et ce devoir ne se résume pas bien entendu aux seules violences urbaines. Tout pouvoir a besoin d’un contre-pouvoir.

Menaces à venir

Poursuivons notre réflexion et supposons vraie l’information du Wayne Madsen Report établissant une connivence entre Nicolas Sarkozy et les barbouzes qui incendiaient les bus en octobre, et tentons d’envisager comment Nicolas Sarkozy se servira demain de son “arme secrète”. Trois scénarios se dégagent :
1. Il ne s’en sert plus (ça y est, il a le pouvoir, il est content).
2. Il continue à s’en servir (pour asseoir son pouvoir).
3. Il passe à l’échelle supérieure : il encourage le plus violent des groupes infiltrés à commettre un attentat majeur sur le territoire français.

Un premier indice en faveur du scénario 3 nous est fourni par les menaces brandies récemment par Al-Qaïda à l’encontre de la France, menaces parvenues par le même canal que les revendications des attentats de Madrid et Londres, deux opérations aux forts relents barbouzards. Le recours à ce canal nous met donc la puce à l’oreille. Dans le même temps, n’exagérons rien car les menaces sans suite sont légion.

Un deuxième indice en faveur du scénario 3 nous est suggéré par le Wayne Madsen Report, lequel rapporte que Nicolas Sarkozy, sitôt élu, a entamé une purge des services secrets français, qualifiée par Madsen de « purge stalinienne » (4) - et notez bien : alors que nous sortons d’un gouvernement de droite. D’après Madsen, les services secrets - notez toujours, ceux laissés par Jacques Chirac, pas par la gauche - sont jugés trop pro-arabes et trop proches de la gauche. Cette purge pourrait annoncer un tournant dans la politique internationale de la France et déboucher sur une politique plus à droite, plus Atlantiste et plus pro-israélienne que ne l’était celle de Jacques Chirac, qui en la matière fut fidèle aux traditions française et gaullienne. Comment le président nouvellement élu fera-t-il accepter ce tournant par les français, alors que la politique internationale a été l’une des grandes absentes de la campagne ? Nicolas Sarkozy passera-t-il outre l’avis des français, comme le fit Tony Blair en Grande-Bretagne en défiant un cortège d’un million de manifestants anti-guerre ? Ou, et l’on revient à la nécessité de services secrets “décomplexés”, exploitera-t-il un “événement” intérieur capable de refaçonner l’opinion ?

S’agissant de politique intérieure, il n’aura échappé à personne que Nicolas Sarkozy veut aller vite en réformes. Dans un pays que l’on dit ingouvernable, une diversion, comme un attentat majeur par exemple, tomberait à pic : le temps que l’on se remette de nos émotions et hop, on découvre que les grandes réformes sont passées !

Le scénario 2 comporte une variante astucieuse : les réformes promises pourraient provoquer à la rentrée 2007 un important mouvement social. Les jeunes issus des banlieues défavorisées, particulièrement attaqués tant par le candidat Sarkozy que par le ministre de l’Intérieur Sarkozy, et qui ont voté massivement pour Ségolène Royal, pourraient s’y joindre. Dans un tel cas, la mission confiée aux barbouzes consistant à créer des désordres dans les manifestations afin de rendre le mouvement impopulaire sera odieusement facilitée : il sera facile d’imputer les débordements à ces jeunes, dont l’image est déjà abîmée dans l’opinion.

Enfin, scénario 1 : Sarkozy choisit de compter sur sa seule force politique et sur ses talents de communiquant et entend gagner à la loyale. Compte tenu de l’ego du personnage, ce n’est pas impossible.

Combinaison explosive

Aucun des trois scénarios n’a ma “préférence” et nul ne sait à quoi ressemblera le quinquennat Sarkozy. Mais la présence d’agents provocateurs dans les banlieues en octobre dernier, le soupçon d’une connivence entre ces agents et le nouveau président, la purge des services secrets entamée au lendemain de sa victoire, les besoins d’un calendrier politique à la fois ambitieux et risqué, l’allégeance de Nicolas Sarkozy aux néo-conservateurs étasuniens et à Israël (5) et ses élans de camaraderie envers Tony Blair, qui a fabriqué les faux permettant de déclencher la guerre préventive étasunienne en Irak, forment une combinaison explosive qui éveille ma méfiance à un degré inimaginable sous Jacques Chirac.

(1) "Incendie des Bus de Nanterre et Bagnolet"

(2) "Incendies de bus cette nuit, ça sent le barbouzage"

(3) WMR les 23, 25 et 26 octobre 2006, traduit ici : "Banlieues : des allégations en provenance des US"

(4) WMR le 10 mai 2007, chercher "Tintoni".

(5) "Discours - Déplacement de Nicolas Sarkozy aux États-Unis du 9 au 12 septembre 2006"

Yves Ducourneau

 

Violence dans les banlieues : regarder la réalité en face

Par Jean-Pierre LE GOFF

La mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois a servi de déclencheur à des violences et des actes de vandalisme de bandes de jeunes dans les banlieues. Les formules, provocatrices et indignes d’un homme d’État, du ministre de l’intérieur accompagné d’une cohorte de journalistes et de caméras, avaient auparavant contribué a exacerber la tension. Ces violences dans les cités révèlent une réalité dont il faut prendre la mesure en évitant l’angélisme et les faux-fuyants.

Quelle solidarité première ?

La vie dans les banlieues ne se confond pas avec les images de ces nuits de violence et de destruction. Des réseaux d’entraide et de solidarité entre habitants se sont mis en place dans des conditions souvent difficiles. La grande majorité désire plus de sécurité, plus d’emploi, de meilleures conditions de vie et d’habitat. C’est sur ce terreau-là qu’une dynamique positive peut se développer et non sur les bandes de jeunes adolescents et post-adolescents qui ont basculé dans la délinquance et la destruction.
Attaquer les pompiers, brûler la voiture de son voisin, ou tuer ce dernier comme par inadvertance, - « sans le faire exprès » diront certains -, incendier des magasins, des écoles, des gymnases du quartier où l’on habite, arrêter des bus pour y déverser de l’essence et y mettre le feu devant des passagers affolés... Face à de tels actes sauvages, la condamnation claire et la nécessité urgente d’un retour à l’ordre ne se discutent pas. C’est le préalable à tout débat sensé sur la question. Mais, là aussi, on a pu assister à des réactions minoritaires, au sein du milieu journalistique et gauchiste, qui rompent avec la morale et le civisme élémentaires. Le mouvement spontané de sympathie ne se tourne pas vers les victimes des violences qui sont, non seulement les pompiers et les policiers, mais les habitants de ces quartiers qui craignent pour leur sécurité et leurs biens, se voient privés de moyens de transport, de commerces, d’écoles... On ne prend guère en considération la crainte des autres jeunes des quartiers qui ne veulent pas être confondus avec les bandes, continuent de croire à l’école et au travail pour « s’en sortir ».
Chez certains beaux esprits s’opère un curieux renversement : ce sont les agresseurs eux-mêmes qui sont considérés d’emblée comme les victimes. De telles réactions délétères rejoignent la façon dont les agresseurs mettent en avant leur statut de victime comme justification de leur violence et de leurs exactions ; elles contribuent à enfoncer un peu plus ces jeunes déstructurés dans l’impasse.
Les mesures pour rétablir l’ordre donnent lieu pareillement à des protestations qui dénoncent aussitôt les mesures prises comme une marque supplémentaire de répression et de « stigmatisation » des banlieues, sans se soucier outre mesure du climat de peur et de « ras-le-bol » des populations concernées.
On peut se demander si la prolongation des mesures de couvre-feu est l’instrument approprié du retour au calme ; on doit demeurer vigilant contre des brutalités policières et des atteintes possibles à l’État de droit. Mais considérer la répression nécessaire comme une dangereuse atteinte aux libertés ou une marque supplémentaire de la « stigmatisation » des banlieues relève d’une idéologie gauchisante de plus en plus coupée des réalités et du sens commun.

Comment interpréter les événements ?

De multiples analyses et commentaires interprètent les événements avec des schémas qui, pour l’essentiel, se refusent à voir ou secondarisent le caractère sauvage, désespéré et nihiliste de la révolte des bandes de jeunes. Certains y voient un signe de la montée des communautarismes, de l’emprise de l’islam radical, voire la concrétisation d’une guerre des civilisations. D’autres, au contraire, les considèrent à tout prix comme l’expression d’une pure révolte contre les discriminations et les inégalités, ou encore, à l’inverse de toutes les apparences, comme étant le signe d’une intégration. De tels schémas idéologiques ont pour effet de rabattre des événements dans des catégories générales prédéterminées qui en dissolvent la singularité. Avant même d’aborder les conditions qui ont rendu possibles de tels événements et de les situer dans le cadre des banlieues et de la société, il convient de délimiter le phénomène et de cerner ses aspects nouveaux.
Il importe en tout premier lieu de prendre en compte ce que les éducateurs, les enseignants, les psychiatres observent depuis des années. Il existe un phénomène de bandes constituées de jeunes adolescents et de post-adolescents en situation d’échec et désocialisés, animés par le ressentiment et la haine à l’égard de la société et des institutions. Ces jeunes minoritaires sont désœuvrés et déstructurés ; ils ont perdu l’estime d’eux-mêmes et le sens du réel. Leur sentiment d’appartenance se limite souvent à leur quartier ou à leur immeuble. Leur langage colle aux affects et aux pulsions ; ils ne mesurent pas la portée de leurs actes et le sentiment de culpabilité est le plus souvent absent. Fascinés par les clichés sur la réussite et l’argent, ils vivent dans un univers où l’image est maître, et ils acquièrent des comportements de dépendance à l’égard des stupéfiants. Ils se réfugient dans des bandes machistes où les rapports de force dominent avec les phénomènes de caïds et s’enferment dans une sous-culture de la délinquance et du ghetto. Nombre d’animateurs, d’éducateurs sociaux, mais aussi d’enseignants se trouvent désemparés devant de tels individus perpétuellement agités, aux comportements asociaux et immaîtrisables. Ces jeunes ont une image dépréciative d’eux-mêmes qui peut se retourner en agression. Lors des nuits de violence, ils sont entrés dans une logique de destruction et d’autodestruction en s’attaquant aux quartiers où ils habitent.
C’est précisément cette réalité dérangeante qu’il s’agit d’aborder en face. Des militants de gauche et des journalistes bien-pensants la dénient en y collant des formules passées en complet décalage. C’est ainsi qu’on répète bêtement la formule attribuée aux classes dominantes de l’ère industrielle : « Classes laborieuses, classes dangereuses », pour l’appliquer aux actes de vandalisme des banlieues. Quel rapport avec des jeunes désocialisés qui ne travaillent pas et ne forment pas une classe ? S’il fallait tenter des comparaisons historiques, la notion de lumpenprolétariat serait plus proche de la réalité. Mais là aussi, le caractère très jeune des casseurs qui ne sont guère en haillons et agissent souvent par mimétisme télévisuel, sort du schéma.
On invoque également le chômage pour expliquer les événements. Mais il est d’autres périodes dans l’histoire de France où le chômage était massif, comme dans les années trente, sans qu’on assiste pour autant à de pareils phénomènes de destruction. Comme on oublie souvent de le dire, ces jeunes ne sont pas en total abandon, mais ils sont assistés par l’État providence. Leur univers n’est pas la survie matérielle, mais ils sont fascinés par l’argent facile et les marques du look branché. Les chômeurs ne s’attaquent pas, que l’on sache, aux écoles, aux gymnases, aux centres sociaux, aux bus... comme le font ces bandes. Et si l’on tient, là aussi, à la comparaison historique, il faudrait poser la question : a-t-on jamais vu les chômeurs des années trente s’attaquer à la « soupe populaire » ?
Quant aux conditions matérielles de vie et de logement dans les cités, elles n’ont rien à envier à la pauvreté et aux logements insalubres des cités ouvrières du début du siècle. Chômage et habitat, s’ils entrent bien en ligne de compte, ne suffisent pas à expliquer le phénomène dans sa nouveauté. Contrairement à ce que laissent entendre nombre de commentateurs attitrés, le type de violence auquel on assiste aujourd’hui n’est pas mécaniquement et unilatéralement déterminé par la situation économique et sociale des banlieues, sinon c’est à un autre mouvement de révolte d’une bien plus grande ampleur à laquelle on aurait assisté. La misère existante dans les cités de banlieues n’est pas comparable à celle qu’ont pu connaître les couches populaires dans le passé : il existe des mécanismes d’assistance sociale qui, s’ils ne transforment pas les conditions matérielles de vie, en atténuent la dureté.
Les événements des banlieues relèvent moins de la pauvreté et de la misère telles qu’on a pu les connaître autrefois que de phénomènes de déstructurations identitaires qui sont plus difficiles à comprendre. Les violences des bandes de jeunes des banlieues révèlent de façon paroxystique une désaffiliation due à l’érosion des collectivités d’appartenance qui inscrivaient l’individu dans une collectivité et le structuraient « de l’intérieur » : famille, collectivité de travail, classes sociales, appartenance nationale... Autant d’éléments qui sont aujourd’hui érodés ou en crise et qui, contrairement aux discours angéliques « post-modernes », sont constitutifs des identités individuelles et collectives. Les situations de chômage et d’habitat dégradé se combinent avec une déliquescence des liens familiaux, pudiquement dénommée « famille monoparentale » : le plus souvent absence du père, la mère subsistant tant bien que mal des revenus de l’aide sociale et étant la plupart du temps absente lorsqu’elle travaille. Dans les familles issues de l’immigration, cette situation peut être aggravée par une inadaptation des parents à la culture française, entraînant une désorientation des jeunes qui, coincés entre deux cultures, peuvent « errer sans repère dans une sorte de no man’s land anthropologique ».
C’est sur ce terreau que les groupes fondamentalistes musulmans présents dans les quartiers peuvent tenter de se développer en présentant leur doctrine comme le levier d’une restructuration identitaire et leur encadrement des jeunes désœuvrés comme la condition de la paix sociale dans les banlieues.

Que faire ?

Face à cette réalité, il n’existe pas de remèdes simples dont les effets seraient immédiats. Mais il est important à la fois de fixer des repères et de tirer des leçons des pratiques passées. Avant même d’envisager des mesures particulières, il est des questions centrales auxquelles il n’est plus possible d’échapper.
- Tout d’abord, la question de l’érosion de l’autorité parentale n’est pas facile à traiter. Les mesures de sanctions financières envers les parents des familles décomposées sont démagogiques et ne résolvent rien. Les associations aidées par des psychologues et des psychiatres pour s’occuper des parents et des enfants en difficulté paraissent indispensables, mais on ne peut reconstruire de façon volontariste des familles déstructurées. La puissance publique ne peut pas se substituer complètement aux familles et les aides psychologiques ne peuvent pas tout. Le problème n’est pas seulement à poser dans des termes psychologiques - le risque existe bien de s’enfermer dans cette problématique -en dehors du terreau social et culturel, d’un ethos commun. On ne peut échapper à la question de la famille comme une des structures anthropologiques de base de la société que des conceptions modernistes et gauchistes ont rapidement mise de côté. Il en va de même des fonctions structurantes de la morale, de l’interdit et de la limite qu’un angélisme post-soixante-huitard et rousseauiste a trop longtemps déniées. Dans ce domaine, comme dans d’autres, ce qui se passe dans les banlieues, reflète de façon extrême des phénomènes que l’on retrouve à différents degrés dans l’ensemble de la société.
- D’autre part, le comportement fortement instable et violent d’une minorité de jeunes en grande difficulté n’est compatible ni avec l’enseignement ni avec le travail en entreprise. La réponse à cette situation ne peut pas être seulement répressive. Elle implique avant tout un type d’aide et d’encadrement social relevant d’institutions spécialisées, avant même d’envisager de les réinsérer dans le cursus scolaire ou dans les entreprises. Il existe des stages fortement encadrés mêlant vie collective, travail, réalisations concrètes et activités physiques dans des lieux fermés ou ouverts qui sortent les jeunes de la cité. L’idée d’un service civil pour tous les jeunes alliant réalisations de tâches utiles, apprentissage de la vie collective et formation professionnelle va dans le même sens. Cela suppose d’importants moyens, particulièrement en termes d’encadrement, et tout cela a un coût pour des résultats qui ne sont pas acquis pour la totalité des jeunes concernés.
- L’apprentissage, s’il doit être pleinement pris en compte et valorisé, ne constitue donc pas une panacée. L’appel constant à l’« éthique » et à la « citoyenneté » des entreprises, pour nécessaire qu’il puisse paraître, ne suffit pas : même si les entreprises peuvent faire des efforts pour accueillir des jeunes en difficulté, leurs perspectives d’embauche sont liées à celles des carnets de commande et leurs critères restent avant tout ceux de la compétence et de l’efficacité. Les employeurs ne sont pas vraiment désireux de prendre en charge des jeunes instables, peu assidus. Et l’association de l’idée d’apprentissage à celle de jeunes en grande difficulté risque de nuire à la revalorisation de l’image de l’apprentissage dans l’opinion.
Il n’y a donc pas de solution simple. Mais il n’en demeure pas moins que la réalisation de tâches pratiques, l’insertion dans un collectif de travail, sont des éléments indispensables pour retrouver une confiance en soi pour ceux qui sont en situation d’échec scolaire, quitte à retrouver une filière scolaire après cette expérience. Qu’on le veuille ou non, dans sa dimension anthropologique, le travail demeure un élément fondamental de la structuration individuelle et sociale. Il est un élément décisif de la constitution de l’estime de soi, de la confrontation avec la réalité et de l’apprentissage de la limite, de l’insertion dans les rapports sociaux. Toute la question est de savoir quelles conditions favorables sont à mettre en place pour que l’insertion et la formation des jeunes en situation de travail puissent se faire dans de bonnes conditions. L’expérience des entreprises dites« intermédiaires » qui insèrent les jeunes dans le travail en échappant pour partie aux contraintes et aux lois du marché mérite, dans cette optique, d’être valorisée.
Le discours généreux de la citoyenneté coupée du travail est une impasse. Toutes les mesures d’assistanat économique et social, de même que les activités associatives multiples, pour nécessaires et utiles qu’elles soient, ne peuvent suppléer à l’absence de travail. Les responsables associatifs, les animateurs, les formateurs, les psychologues..., malgré tous leurs efforts, se voient condamnés à jouer un rôle d’accompagnateur ou de « pompier » du social, s’il n’existe pas d’activités de travail et de perspectives d’emploi pour les jeunes en difficulté.
Le modèle républicain implique un modèle d’égalité et de citoyenneté qui fait fi des appartenances ethniques et communautaires. Ce modèle a un caractère d’idéalité qui ne coïncide jamais avec les faits, mais c’est ce caractère d’idéalité qui lui confère sa dynamique, et il a su au cours de l’histoire passer des compromis. Ce modèle s’appuie sur une certaine morale du travail, sur une culture commune liée à notre histoire, sur l’idée de promotion sociale... Ces points-clés sont en panne, mais la question est de savoir comment les relancer, plutôt que d’affirmer qu’il a définitivement échoué et passer rapidement à un autre modèle de type anglo-saxon qui n’a pas d’ancrage solide dans notre tradition et qui montre aussi ses limites.
La discrimination positive dans le domaine économique et social mérite d’être évaluée à la lumière de ses résultas effectifs et non aux « bonnes intentions » qu’elle affiche. Elle peut créer des effets pervers comme l’évaluation des ZEP l’a montré. Dans le domaine de l’habitat, la discrimination positive apparaît comme une mesure pouvant favoriser la rencontre et l’échange entre les différentes catégories sociales. Là aussi, il convient d’examiner avec soin à quelles conditions précises elle peut être efficace, en évitant les effets qui amèneraient les catégories sociales plus favorisées à aller habiter ailleurs. Mais dans ces deux domaines, la discrimination positive nous paraît rester dans le cadre du débat sur les adaptations possibles et nécessaires.
La discrimination positive à destination de ce qu’on appelle désormais les « minorités visibles » - autrement dit une différence de traitement, notamment à l’embauche, fondée sur les critères de race et de couleur de peau -, est d’une autre nature et portée. Elle ouvre la boîte de Pandore en favorisant la généralisation de la suspicion de racisme dans les rapports sociaux, l’hypertrophie des plaintes et des droits. Elle renforce la « victimisation » existante dans une logique de concurrence sans fin entre tous ceux qui s’estiment être des victimes, contribuant ainsi au délitement du lien social et de la citoyenneté. La discrimination positive en faveur de ce qu’on appelle les « minorités visibles » constitue un nouveau tremplin pour le courant xénophobe et raciste, et peut favoriser à terme des affrontements ethniques.
On ne saurait enfin passer outre la question de la nation comme cadre central d’intégration, élément constitutif de l’existence collective d’un peuple, et partie constitutive de l’héritage européen. Qu’on le veuille ou non, la nation demeure une référence identitaire et le lieu central de la citoyenneté. Elle constitue un pôle d’identification avant même l’appartenance européenne dont la prégnance demeure faible, tout particulièrement dans les banlieues. Cela implique l’acceptation de l’ambivalence de son histoire en étant conscient qu’aucun peuple en l’affaire ne dispose d’un blanc-seing et un patriotisme qui ne se confond pas avec le nationalisme chauvin et xénophobe. À l’inverse, toute une idéologie gauchisante minoritaire au sein du milieu associatif réduit l’histoire de notre pays à ses pages les plus sombres et renforce la mentalité victimaire des jeunes désaffiliés en présentant leur situation dans la continuité de celle qui fut celle des esclaves et des peuples colonisés. Cette idéologie travaille à l’encontre de l’intégration et elle peut recouper ou se trouver mêlée à des thèmes fondamentalistes musulmans. Sans nier les pages sombres de notre histoire, l’intégration implique la conscience des acquis de notre histoire et le partage d’un patrimoine culturel commun. C’est aussi dans ce cadre que l’éducation populaire peut retrouver un nouveau souffle. La citoyenneté n’est pas l’affichage des différences dans une logique de victimisation, mais elle implique le souci de partager les acquis de notre propre histoire et de créer un avenir commun.
L’histoire n’est pas tracée d’avance ; elle est ouverte sur de possibles régressions. Les violences récentes nous le rappellent. Les problèmes rencontrés dans les banlieues sont les nôtres, ils concernent une partie de nos compatriotes fragilisés par la crise que nous vivons. Dans cette affaire, notre responsabilité est engagée et il importe à la fois de regarder la réalité en face et de savoir quel modèle de vivre-ensemble et de citoyenneté nous voulons essayer de faire prévaloir au milieu du chaos ambiant. Les paroles d’Albert Camus, « Empêcher que le monde se défasse », prononcées dans d’autres circonstances, gardent leur acuité dans la situation présente.

21 novembre 2005