|
Bioéthique Faut-il interdire la recherche sur lembryon ? par Henrik Lindell Les faits Le 20 septembre, soixante-treize députés européens ont signé une lettre adressée au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, lui demandant darrêter tout financement européen de la recherche sur les embryons humains. Dans certains pays, cette recherche est interdite pour des motifs religieux. Les députés, surtout des chrétiens et des conservateurs dont Ari Vatanen, et Margie Sudre en France, estiment que les femmes qui donnent des cellules embryonnaires risquent dêtre considérées comme des fournisseurs de " matière première ". Ils souhaitent que la Commission " donne priorité à des valeurs européennes comme "la dignité humaine" ". Le 10 mars dernier, le Parlement européen avait adopté une résolution, non contraignante, demandant que lUnion cesse de financer la recherche sur lembryon. Lanalyse . En Europe aujourdhui, lintervention sur lembryon humain aux fins de recherches est tolérée dans la majorité des pays. La Grande-Bretagne et la Belgique sont les plus permissives en la matière, alors que la Pologne, la Lituanie, lAutriche, lIrlande et la République slovaque interdisent cette pratique. à linstar de lAllemagne et de lItalie, la France a une position intermédiaire. La loi sur la bioéthique du 8 juillet 2004 dit que " la recherche sur lembryon humain est interdite ", mais lautorise quand même " à titre exceptionnel " pour une durée de cinq ans sur les embryons dits " excédentaires ", issus dIVG ou importés de létranger. Dans tous les cas, ces manipulations ne doivent pas déboucher sur un projet de vie. La France nautorise pas la création de cellules souches dembryons. De plus, la recherche en question doit être susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs (ce qui nest pas encore le cas). Le programme européen actuel permet de financer ces recherches. La controverse provoquée par les soixante-treize députés intervient alors que la Commission doit révéler cet automne les détails du nouveau programme pour la période 2007-2013. La manipulation de cellules souches pose des problèmes éthiques évidents puisquelle nécessite la destruction de lembryon. Les oppositions ne sont pas nécessairement dordre religieux. Ainsi, les Verts en France, dinspiration libertaire, se méfient de lidée jugée " productiviste " de concevoir des embryons uniquement en vue dune recherche aux résultats incertains. Daprès des députés européens Verts, comme Alain Lipietz, une trop grande tolérance aboutirait à lautorisation de clonage humain thérapeutique et reproductif. De nombreux scientifiques estiment par ailleurs que la recherche sur les cellules souches adultes, prélevées sur nimporte quel tissu humain, est tout aussi prometteuse que celle sur les embryons. LÉglise catholique, qui inspire la plupart des opposants à la recherche sur les embryons, fonde son analyse sur lidée que lembryon est déjà un être humain. Un passage de la Genèse rappelant que Dieu a confié la terre aux hommes " pour la cultiver et la garder " (Gn 2 :15) est souvent invoqué. " Trop nombreux sont ceux qui voudraient que le caractère humain de lembryon ou son appartenance à lhumanité ne soient pleinement reconnus quà partir dun certain stade de développement. Mais il nest pas possible de décider dun seuil au-delà duquel lembryon serait humain et en deçà duquel il ne le serait pas. Nul na le pouvoir de fixer les seuils dhumanité dune existence singulière ", avait déclaré le Conseil permanent de la conférence des évêques de France le 25 juin 2001. Noël Treanor, secrétaire général de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece) le principal organe de lobbying catholique dans lUnion précisait le 8 avril dernier que " la recherche ne peut franchir la limite de linviolable dignité de lêtre humain ". En revanche, lÉglise catholique admet et encourage la recherche sur des cellules souches prélevées sur lenfant et ladulte sans que leur intégrité soit bafouée. La plupart des Églises protestantes se retrouvent sur la même ligne que leur homologue catholique.
Copyright © Témoignage chrétien 2005 La rencontre entre Benoît XVI et Hans Küng a surpris nombre de catholiques. Hendro Munsterman y voit le double appel à une éthique de dialogue et au dialogue sur léthique. Benoît XVI-Hans Küng : dialogue sur léthique par Hendro Munsterman La surprise fut grande : Hans Küng accueilli par le pape, le 24 septembre dernier. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps : ils furent amis et collègues à la faculté de théologie de Tübingen : le dernier fut évêque, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, puis pape ; lautre fit carrière à luniversité et fut suspendu denseignement par Rome en 1979, à la suite de son ouvrage sur linfaillibilité pontificale. Les amis de jadis étaient devenus adversaires. Nous ne savons pas grand-chose du contenu de leur entretien qui a duré " plusieurs heures ", sauf quil fut " constructif et fraternel " et que les deux hommes ont notamment évoqué deux sujets, au centre du travail intellectuel de Hans Küng depuis plusieurs décennies : le dialogue entre sciences et foi et la question déthique planétaire. Cette éthique planétaire fut lobjet dun colloque en juillet dernier au Centre théologique de Meylan-Grenoble, avec la participation de Hans Küng. En 1990, Hans Küng publia son Projekt Weltethos (Projet déthique planétaire(1)), dans lequel il propose un ethos (des valeurs éthiques) universel, en se laissant conduire par cette triple conviction : " Pas de paix entre les nations sans paix entre les religions. Pas de paix entre les religions sans dialogue entre les religions. Pas de dialogue entre les religions sans recherche fondamentale à lintérieur des religions. " L " ethos universel " proposé par Küng recherche les valeurs à lintérieur des grands courants religieux et philosophiques et même si, sur un plan doctrinal et métaphysique, les religions sont et demeurent très différentes, sur un plan éthique, elles convergent de façon surprenante. Ainsi, pour Küng, il ne sagit pas dune doctrine philosophique ou théologique partagée par toutes les religions, mais plutôt dune déduction des convictions morales que lon retrouve dans toutes les grandes religions. Cette découverte a donné lieu à une Déclaration pour une éthique planétaire, signée en 1993 par le Parlement des religions du monde à Chicago. Cette déclaration est un appel riche et profond qui permet à tous les hommes et femmes de notre planète de construire un meilleur vivre-ensemble. Après la Déclaration des droits de lHomme (1948), nous nous trouvons ici devant un appel aux devoirs, aux responsabilités de lHomme : responsabilités face à nos frères et surs, responsabilités face à notre planète aussi. Depuis la signature de cette belle déclaration, une Fondation pour une éthique planétaire, basée à Tübingen en Allemagne, poursuit ce travail de recherche et de dialogue interreligieux. Hans Küng continue à publier sur le sujet, notamment de gros ouvrages sur le christianisme, le judaïsme, lislam, et sur les religions chinoises. Ce travail de recherche saccompagne defforts pédagogiques impressionnants qui essaient de proposer aux enfants, aux jeunes et aux adultes une pratique déthique planétaire. Ce projet déthique planétaire a eu un grand écho dans le monde entier et dans des cultures et religions différentes. LÉglise catholique, en la personne du cardinal Bernardin, a participé au Parlement des religions en 1993, et nous ne pouvons pas ne pas penser aux initiatives de Jean Paul II, à Assise et ailleurs. Ce même Jean Paul II, dans son discours aux membres de lAcadémie pontificale des sciences sociales en 2001, prononce ces mots qui coïncident de façon stupéfiante avec le projet de Hans Küng : " Parce que lhumanité est aujourdhui confrontée à un processus de mondialisation, elle ne peut plus se passer dun code éthique commun. Cela ne signifie pas un système économique et social unique ou une culture qui imposerait ses propres critères et valeurs à cette pensée éthique. Les normes de la vie sociale sont à rechercher à lintérieur de lhomme même et dans lhumanité universelle émanant de la main du Créateur. [ ] Malgré la multitude des formes de culture, il existe des valeurs humaines universelles, et celles-ci doivent être révélées et éclairées comme une force mouvante de tout progrès et développement. " Depuis le début de son pontificat, le pape Benoît XVI sest révélé être un pape de dialogue. Il a très vite annoncé vouloir investir dans un échange cuménique et interreligieux, sans vouloir mélanger les objec- tifs et méthodes inhérents à chacun de ces deux types de concertation. À ce dialogue " vers lextérieur " sajoute celui " à lintérieur " : accueillir Hans Küng en audience privée est un signe fort (" Pendant vingt- cinq ans, jai demandé une audience à son prédécesseur ", explique-t-il). Voici un pape qui na pas peur de dialoguer, même sil nest pas question dêtre en accord avec toutes les convictions de ce théologien suisse allemand. Cela suppose une éthique du dialogue : pour le moment, les objectifs et méthodes de ce dialogue " à lintérieur " sont sans doute moins claires et moins précises que dans le cas de dialogues cuméniques et interreligieux, surtout quil ne sagit pas seulement du dialogue avec un seul théologien " progressiste ", mais avec tous les différents courants théologiques, culturels et spirituels à lintérieur de notre Église. Nous pouvons espérer que cette rencontre entre deux hommes qui se sont révélés " hommes de dialogue " sera caractéristique du style de ce pontifex maximus, un constructeur de ponts. 1. Projet d'éthique planétaire (Seuil, 1991), Manifeste pour une éthique planétaire (Parlement des religions du monde, Cerf, 1995). Hendro Musnterman dirige le : Centre théologique de Grenoble-Meylan.
|