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Mgr Lustiger : "Vous ne me reverrez pas"
LE MONDE | 01.06.07
IL est arrivé avec une demi-heure de retard, poussé sur son fauteuil roulant, ombre
fragile habillée d'un costume de clergyman. Le visage est émacié. Jean-Marie Lustiger
n'est pas le plus vieil académicien (à 98 ans, Claude Lévi-Strauss est actuellement le
doyen d'âge de l'institution), mais il est malade, comme en témoigne sa maigreur.
Quand dans la petite salle des séances s'ouvre l'élection, ce 31 mai à 15 heures, le
cardinal n'est pas encore arrivé. Il a pourtant prévenu qu'il serait là. Les 28
académiciens présents patientent cinq minutes, dix, puis quinze, et vingt. "Il
faut commencer", lâche l'un d'eux. Leur choix se porte vite sur Max Gallo. Mais
voilà que dix minutes plus tard, alors que l'assistance planche déjà sur le
dictionnaire et examine le mot "républicaniser", un huissier ouvre la
porte pour laisser passer le retardataire, qui demeure près de l'entrée.
"Monsieur le cardinal, je suis heureuse de vous accueillir. Nous vous
annonçons que, n'ayant pu hélas vous attendre, nous avons élu Max Gallo",
lance gentiment Florence Delay, la directrice en exercice. Le silence est toujours presque
parfait, dans cette assemblée où on ne prend pas la parole sans autorisation et où on
ne coupe jamais celle de l'autre. Mais, à ce moment précis où l'homme d'église se met
à parler, sous le portrait du cardinal de Richelieu, ce silence devient d'or.
"Le nouvel élu est notre élu à tous, rappelle le cardinal en saluant
l'élection de l'historien. Mais en réalité, je ne vais pas vous le dissimuler, je ne
suis pas venu pour vous retrouver, je suis venu pour vous quitter. Vous ne me reverrez
pas. J'en suis triste, mais je sais que je ne cesserai pas de penser à vous. Les premiers
seront les derniers. Ici, je n'ai pas été très assidu, mais là où je serai, je serai
très présent pour m'occuper de l'Académie, je vous donne l'assurance de mes prières,
ici et ailleurs", finit-il.
"On jouait Le Cardinal d'Espagne de Montherlant, résume l'un des
présents. On n'en croyait pas nos oreilles, au sens littéral de l'expression."
Les uns après les autres, les académiciens viennent embrasser ou serrer la main du vieil
homme "avec cette fausse cordialité de traversée de couloir" qui permet
de masquer si bien trouble et chagrin. "Quand je dis adieu, je dis à Dieu, à
vous, à tous", l'entend-on glisser à son ami, l'avocat Jean-Denis Bredin. La
séance est suspendue : les Immortels n'ont plus le coeur à leurs travaux, Seuls à la
maison avec leur émotion ou entre eux, faussement égayés par le champagne qui coule,
ils méditent ou dissertent sur cette sortie du monde "sublime", "bouleversante",
"catholique" et "unique".
Le
cardinal Lustiger est mort
Celui qui, pendant un quart de siècle, a profondément transformé
le visage du diocèse de Paris, s'est éteint dimanche 5 aôut. C'est une figure de
l'Église universelle qui disparaît

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Le cardinal Jean-Marie Lustiger en mai 2005 au Mémorial de la Shoah à Paris (photo
Robine/AFP).
Si lÉglise compte des grands cardinaux, le cardinal Jean-Marie Lustiger fut un
grand cardinal. Il sest éteint, dimanche 5 août à 19h30, à lâge de 80
ans, des suites dune longue maladie quil navait jamais cachée, un
cancer.
Avec lui, lÉglise universelle perd lune de ses têtes pensantes et lun
de ses pasteurs les plus remarqués. Son âge ne lui permettait plus délire un pape
il avait été créé cardinal par Jean-Paul II en 1983, et fut lun des
électeurs de Benoît XVI , mais sa notoriété mondiale, son destin particulier de
juif converti au christianisme et sa puissance intellectuelle faisaient de lui lun
des hommes les plus influents de lÉglise catholique.
À Rome, mais aussi ailleurs, sa parole était attendue, parfois crainte, toujours
respectée. Il fut lun des conseillers les plus écoutés du pape polonais, qui
ladmirait personnellement. Il partageait également une haute amitié intellectuelle
avec Joseph Ratzinger. Autant de raisons qui avaient donné à certains lidée
den faire un papabile, lun de ces cardinaux jugés les plus aptes à exercer
la fonction suprême.
Influence dun homme qui ne laissait rien au hasard. Influence dont on lui reproche
davoir usé efficacement pour le choix de son successeur au prestigieux archevêché
de Paris. Le 11 février 2005, moins de deux mois avant sa mort, Jean-Paul II
cest lune de ses ultimes décisions de gouvernement nomme effectivement
un fidèle du cardinal Lustiger, Mgr André Vingt-Trois, qui avait été son bras droit à
Paris pendant dix-huit ans. En curie romaine, cet acte avait été interprété comme un
« passage en force ». 
Son objectif, en effet, cétait lÉglise !
Interrogé par La Croix, le cardinal Lustiger sen est défendu avec
véhémence : « Le pape a choisi librement, après mûre réflexion et selon la
procédure habituelle, parmi plusieurs hommes possibles, dont Mgr André Vingt-Trois. »
Reste que, à lévidence, lavis de ce cardinal à qui le pape vouait une
confiance de frère, a dû peser. Confiance jamais déçue ni démentie, depuis le jour de
1981 où Jean-Paul II, conscient de lenjeu capital de ce poste, avait prié une nuit
entière avant den faire le successeur du cardinal François Marty.
Il arriva donc dOrléans, où il avait accédé à lépiscopat à peine un an
plus tôt. Inclassable, déjà
Celui qui entrera à lAcadémie française en
1995 a alors séduit toute une génération dintellectuels de la gauche laïque par
sa hauteur de vue. Inclassable, car il se méfiait tout autant des milieux classiques de
lÉglise, quil trouvait parfois étroits, des milieux charismatiques
généreux mais pas toujours aiguisés intellectuellement à son goût, et des milieux
progressistes quil a souvent combattus et qui le lui rendaient bien !
Personnalité forte, cet homme à part naura dailleurs jamais réussi à être
élu à la présidence de la Conférence des évêques de France, tout en siégeant de
droit un privilège de larchevêque de Paris au conseil permanent,
organe de gouvernement collégial de lépiscopat. Et sil a suscité de
nombreux évêques aujourdhui, une vingtaine sont issus de Paris, et bien
dautres lui doivent leur nomination , il na pas créé lui-même un «
courant » au sein de lépiscopat : là nétait pas son propos.
Son objectif, en effet, cétait lÉglise ! Pas une Église timorée, en
stagnation, quil fustigeait en privé, mais une Église du Christ, décomplexée,
allant de lavant. À cette fin, Jean-Marie Lustiger a exploité toutes les
ressources de sa verve, prisée par les médias et appréciée lors de ces sermons
brillants et sans notes qui lont dabord fait connaître. Et dépensé toute
son énergie, apparemment inépuisable. Difficile à dompter, même, tant les colères et
le langage parfois cru de ce caractère trempé étaient redoutés par son entourage.
Pour lÉglise toujours, cet homme qui aimait garder les mains libres a
déployé une méthode peu collective. « La collégialité nest pas lesprit
grégaire », lançait-il, cherchant à transformer Paris en laboratoire dÉglise.
Quitte à fâcher ses confrères évêques par un fonctionnement quils pouvaient
juger parallèle et « trop personnel ». Quitte à fonder volontairement ses propres
instances à côté de ce qui existait déjà.
Lexemple le plus criant fut la formation, où il a beaucoup investi, pour les
laïcs, les séminaristes et les prêtres. Alors quil était chancelier de
lInstitut catholique de Paris, il a créé lÉcole Cathédrale, puis le
Studium Notre-Dame, une troisième faculté de théologie à Paris pour laquelle il a
obtenu la reconnaissance canonique romaine, en concurrence directe de la Catho et du
Centre Sèvres des jésuites
Cette politique de refondation nétait pas pour autant une course en solitaire. Elle
est allée de pair, aspect moins connu de son uvre, avec le recrutement de prêtres
et de laïcs de haut niveau autour de lui. Il savait à la fois sentourer et attirer
des compétences par son charisme on la vu pour les vocations ,
manageant son diocèse de manière professionnelle, parfois abrupte, pour ce qui était
des affaires du temps.
Lexemple de la mise en scène des JMJ de Paris est éloquent : il lavait
confiée notamment au scénographe Jacques Le Disez, parce quil avait pensé que la
qualité des images retransmises par les télévisions dans un pays catholique mais très
laïque était au moins aussi importante que lévénement lui-même.
Débatteur, fulgurant, manieur de paradoxes
Ce souci de limage de lÉglise nétait pas lié à un
égocentrisme, mais à une haute conscience de « lépaisseur historique des
phénomènes spirituels ». Ainsi lÉglise ne devait pas avoir peur, en certains
cas, dinventer une liturgie moderne il aimait lart contemporain
symbolique et adaptée à la scène publique et médiatique.
Cet homme daction, sil nétait pas un moine bâtisseur, fut un pasteur
bâtisseur, obnubilé par le sens de lHistoire et linscription des
événements dans le temps et lespace. Aimant provoquer et prendre des risques. Mais
il fut aussi un homme de prière. Alors quil restait très discret sur sa vie
intérieure, son entourage témoigne que le temps quil consacrait à Dieu était une
priorité qui lui valait de refuser des engagements.
Pour le diocèse de Paris, il y a donc un avant et un après-Lustiger . Et la continuité
de cet héritage est assurée par son successeur. Elle lest moins, en revanche, pour
la place publique, la vie médiatique et politique. Le cardinal Lustiger y aura pesé de
tout son poids, incarnant là aussi une présence dÉglise sur un mode nouveau.
Ce débatteur, fulgurant, manieur de paradoxes, surgissant souvent où on ne
lattendait pas, est difficilement remplaçable pour lÉglise, notamment sur
les plateaux de télévision ou les studios de radio, mais aussi dans les salons discrets
du monde politique où il se rendait volontiers, quand on ly invitait.
Sil nétait pas labbé Pierre, premier des sondages, le cardinal
Lustiger restera un prélat qui aura compté dans la vie française de la fin du XXe
siècle. Nhésitant jamais à intervenir sur les grandes questions de société ou
internationales il partit dire la messe de Noël à Sarajevo en 1993 , on ne
compte plus ses interviews dans toutes les formes et sensibilités de presse, parfois
vigoureuses comme récemment sur lislam (accusant le gouvernement français de
vouloir en faire une « religion dÉtat »), il se sera toutefois relativement peu
prononcé sur les questions de morale sexuelle. Il aura, certes, été lun des
premiers à rappeler publiquement que la doctrine catholique du moindre mal autorise
lusage du préservatif dans la lutte contre la pandémie du sida.
« Comment pourrais-je cesser dêtre juif ? »
Mais ces questions, hormis la bioéthique, nauront pas été son premier
lieu. Marqué par la théologie de Hans Urs von Balthasar, sa principale préoccupation, y
compris dans le champ public et culturel, aura plutôt été de faire « découvrir que la
foi au Christ ne cesse dinventer des manières nouvelles et plus belles de vivre la
vie humaine » comme il le confiait à La Croix en 2001, après vingt ans de
responsabilité à Paris.
Avec cette exigence : « Notre autorité ne consiste quà obéir au Christ. Ce
nest pas respecter autrui que de ne pas lui transmettre la parole de Dieu telle
quelle nous est confiée. Révéler ainsi lexigence de Dieu ne peut se faire
que dans sa miséricorde. Mais cela signifie, ni complicité, ni complaisance.
Lamour de lÉglise ne se divise pas. Il ne faut pas chercher notre propre
succès. Ne pas chercher à se faire aimer, mais aimer. »
Ceux qui lauront approché auront toutefois été frappés par un dernier trait,
peut-être le plus essentiel. La résurrection du Christ, cette Bonne Nouvelle quil
prêchait, naura pas levé un drame qui subsistait en lui. Pessimisme dune
intelligence trop lucide, ou racines dune histoire personnelle tourmentée ?
Jean-Marie Lustiger était né Aaron, jusquà ce 25 août 1940 où il reçut, à 14
ans, le baptême à Orléans. Sa mère est morte à Auschwitz, et lun de ses
grands-pères était rabbin en Pologne. « Comment pourrais-je cesser dêtre juif ?
» murmurait-il, toujours blessé daborder ce thème dont il détestait parler
publiquement.
Et cette vision tragique qui le tourmentait il faut lavoir vu célébrer
lEucharistie à Jérusalem pour le réaliser et dont il a peut-être
aujourdhui la clé : « La condition présente de lhistoire consiste en ce que
laccomplissement des promesses du Messie demeure caché. »
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Jean-Marie GUENOIS
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06/08/2007
Le cardinal Lustiger est mort
Celui qui, pendant un quart de siècle, a profondément transformé
le visage du diocèse de Paris, s'est éteint dimanche à la Maison Médicale
Jeanne-Garnier à Paris. C'est une figure de l'Église universelle qui disparaît. Ses
obsèques seront célébrées vendredi 10 août au matin à la cathédrale Notre-Dame de
Paris

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Le cardinal Jean-Marie Lustiger en mars 2003 (photo Delay/AP).
Si lÉglise compte des grands cardinaux, le cardinal Jean-Marie Lustiger fut un
grand cardinal. Il sest éteint, dimanche 5 août à 19h30, à lâge de 80
ans, des suites dune longue maladie quil navait jamais cachée, un
cancer. Il est décédé à la Maison Médicale Jeanne-Garnier, à Paris, un
établissement de soins palliatifs dépendant de la fondation des Dames du Calvaire où il
avait été admis le 23 avril.
"Les dernières semaines ont été plus particulièrement douloureuses et
pénibles" pour le cardinal, écrit dans un communiqué l'actuel archevêque de Paris
Mgr André Vingt-Trois, qui succéda à Mgr Lustiger en 2005 (lire la
réaction de Mgr Vingt-Trois).
Mgr Vingt-Trois célèbrera lundi 6 août à 21h30 à Notre-Dame une messe "pour
confier le cardinal à la miséricorde de Dieu". Ses obsèques seront célébrées
vendredi 10 août à 10h à la cathédrale Notre-Dame de Paris et une chapelle ardente
sera organisée la veille, de 9h à 22h, dans la cathédrale pour permettre "aux
Parisiens et à ceux qui le voudront de prier près du cardinal ou de le saluer une
dernière fois", selon l'archevêché (en savoir
plus sur la chapelle ardente). 
Un homme qui ne laissait rien au hasard
Avec Jean-Marie Lustiger, lÉglise universelle perd lune de ses
têtes pensantes et lun de ses pasteurs les plus remarqués. Son âge ne lui
permettait plus délire un pape il avait été créé cardinal par Jean-Paul
II en 1983, et fut lun des électeurs de Benoît XVI , mais sa notoriété
mondiale, son destin particulier de juif converti au christianisme et sa puissance
intellectuelle faisaient de lui lun des hommes les plus influents de lÉglise
catholique.
À Rome, mais aussi ailleurs, sa parole était attendue, parfois crainte, toujours
respectée. Il fut lun des conseillers les plus écoutés du pape polonais, qui ladmirait
personnellement. Il partageait également une haute amitié intellectuelle avec Joseph
Ratzinger. Autant de raisons qui avaient donné à certains lidée den faire
un papabile, lun de ces cardinaux jugés les plus aptes à exercer la fonction
suprême.
Influence dun homme qui ne laissait rien au hasard. Influence dont on lui reproche davoir
usé efficacement pour le choix de son successeur au prestigieux archevêché de Paris. Le
11 février 2005, moins de deux mois avant sa mort, Jean-Paul II cest lune
de ses ultimes décisions de gouvernement nomme effectivement un fidèle du
cardinal Lustiger, Mgr André Vingt-Trois, qui avait été son bras droit à Paris pendant
dix-huit ans. En curie romaine, cet acte avait été interprété comme un « passage
en force ».  Son objectif, en effet, cétait lÉglise
!
Interrogé par La Croix, le cardinal Lustiger sen est défendu avec
véhémence : « Le pape a choisi librement, après mûre réflexion et selon la
procédure habituelle, parmi plusieurs hommes possibles, dont Mgr André Vingt-Trois. »
Reste que, à lévidence, lavis de ce cardinal à qui le pape vouait une
confiance de frère, a dû peser. Confiance jamais déçue ni démentie, depuis le jour de
1981 où Jean-Paul II, conscient de lenjeu capital de ce poste, avait prié une nuit
entière avant den faire le successeur du cardinal François Marty.
Il arriva donc dOrléans, où il avait accédé à lépiscopat à peine un an
plus tôt. Inclassable, déjà
Celui qui entrera à lAcadémie française en
1995 a alors séduit toute une génération dintellectuels de la gauche laïque par
sa hauteur de vue. Inclassable, car il se méfiait tout autant des milieux classiques de lÉglise,
quil trouvait parfois étroits, des milieux charismatiques généreux mais pas
toujours aiguisés intellectuellement à son goût, et des milieux progressistes quil
a souvent combattus et qui le lui rendaient bien !
Personnalité forte, cet homme à part naura dailleurs jamais réussi à être
élu à la présidence de la Conférence des évêques de France, tout en siégeant de
droit un privilège de larchevêque de Paris au conseil permanent,
organe de gouvernement collégial de lépiscopat. Et sil a suscité de
nombreux évêques aujourdhui, une vingtaine sont issus de Paris, et bien dautres
lui doivent leur nomination , il na pas créé lui-même un « courant » au
sein de lépiscopat : là nétait pas son propos.
Son objectif, en effet, cétait lÉglise ! Pas une Église timorée, en
stagnation, quil fustigeait en privé, mais une Église du Christ, décomplexée,
allant de lavant. À cette fin, Jean-Marie Lustiger a exploité toutes les
ressources de sa verve, prisée par les médias et appréciée lors de ces sermons
brillants et sans notes qui lont dabord fait connaître. Et dépensé toute
son énergie, apparemment inépuisable. Difficile à dompter, même, tant les colères et
le langage parfois cru de ce caractère trempé étaient redoutés par son entourage.
Pour lÉglise toujours, cet homme qui aimait garder les mains libres a
déployé une méthode peu collective. « La collégialité nest pas lesprit
grégaire », lançait-il, cherchant à transformer Paris en laboratoire dÉglise.
Quitte à fâcher ses confrères évêques par un fonctionnement quils pouvaient
juger parallèle et « trop personnel ». Quitte à fonder volontairement ses propres
instances à côté de ce qui existait déjà.
Lexemple le plus criant fut la formation, où il a beaucoup investi, pour les
laïcs, les séminaristes et les prêtres. Alors quil était chancelier de lInstitut
catholique de Paris, il a créé lÉcole Cathédrale, puis le Studium Notre-Dame,
une troisième faculté de théologie à Paris pour laquelle il a obtenu la reconnaissance
canonique romaine, en concurrence directe de la Catho et du Centre Sèvres des jésuites
Cette politique de refondation nétait pas pour autant une course en solitaire. Elle
est allée de pair, aspect moins connu de son uvre, avec le recrutement de prêtres
et de laïcs de haut niveau autour de lui. Il savait à la fois sentourer et attirer
des compétences par son charisme on la vu pour les vocations ,
manageant son diocèse de manière professionnelle, parfois abrupte, pour ce qui était
des affaires du temps.
Lexemple de la mise en scène des JMJ de Paris est éloquent : il lavait
confiée notamment au scénographe Jacques Le Disez, parce quil avait pensé que la
qualité des images retransmises par les télévisions dans un pays catholique mais très
laïque était au moins aussi importante que lévénement lui-même.
Débatteur, fulgurant, manieur de paradoxes
Ce souci de limage de lÉglise nétait pas lié à un
égocentrisme, mais à une haute conscience de « lépaisseur historique des
phénomènes spirituels ». Ainsi lÉglise ne devait pas avoir peur, en certains
cas, dinventer une liturgie moderne il aimait lart contemporain
symbolique et adaptée à la scène publique et médiatique.
Cet homme daction, sil nétait pas un moine bâtisseur, fut un pasteur
bâtisseur, obnubilé par le sens de lHistoire et linscription des
événements dans le temps et lespace. Aimant provoquer et prendre des risques. Mais
il fut aussi un homme de prière. Alors quil restait très discret sur sa vie
intérieure, son entourage témoigne que le temps quil consacrait à Dieu était une
priorité qui lui valait de refuser des engagements.
Pour le diocèse de Paris, il y a donc un avant et un après-Lustiger . Et la continuité
de cet héritage est assurée par son successeur. Elle lest moins, en revanche, pour
la place publique, la vie médiatique et politique. Le cardinal Lustiger y aura pesé de
tout son poids, incarnant là aussi une présence dÉglise sur un mode nouveau.
Ce débatteur, fulgurant, manieur de paradoxes, surgissant souvent où on ne lattendait
pas, est difficilement remplaçable pour lÉglise, notamment sur les plateaux de
télévision ou les studios de radio, mais aussi dans les salons discrets du monde
politique où il se rendait volontiers, quand on ly invitait.
Sil nétait pas labbé Pierre, premier des sondages, le cardinal
Lustiger restera un prélat qui aura compté dans la vie française de la fin du XXe
siècle. Nhésitant jamais à intervenir sur les grandes questions de société ou
internationales il partit dire la messe de Noël à Sarajevo en 1993 , on ne
compte plus ses interviews dans toutes les formes et sensibilités de presse, parfois
vigoureuses comme récemment sur lislam (accusant le gouvernement français de
vouloir en faire une « religion dÉtat »), il se sera toutefois relativement
peu prononcé sur les questions de morale sexuelle. Il aura, certes, été lun des
premiers à rappeler publiquement que la doctrine catholique du moindre mal autorise lusage
du préservatif dans la lutte contre la pandémie du sida.
« Comment pourrais-je cesser dêtre juif ? »
Mais ces questions, hormis la bioéthique, nauront pas été son premier
lieu. Marqué par la théologie de Hans Urs von Balthasar, sa principale préoccupation, y
compris dans le champ public et culturel, aura plutôt été de faire « découvrir que la
foi au Christ ne cesse dinventer des manières nouvelles et plus belles de vivre la
vie humaine » comme il le confiait à La Croix en 2001, après vingt ans de
responsabilité à Paris.
Avec cette exigence : « Notre autorité ne consiste quà obéir au Christ. Ce nest
pas respecter autrui que de ne pas lui transmettre la parole de Dieu telle quelle
nous est confiée. Révéler ainsi lexigence de Dieu ne peut se faire que dans sa
miséricorde. Mais cela signifie, ni complicité, ni complaisance. Lamour de lÉglise
ne se divise pas. Il ne faut pas chercher notre propre succès. Ne pas chercher à se
faire aimer, mais aimer. »
Ceux qui lauront approché auront toutefois été frappés par un dernier trait,
peut-être le plus essentiel. La résurrection du Christ, cette Bonne Nouvelle quil
prêchait, naura pas levé un drame qui subsistait en lui. Pessimisme dune
intelligence trop lucide, ou racines dune histoire personnelle tourmentée ?
Jean-Marie Lustiger était né Aaron, jusquà ce 25 août 1940 où il reçut, à 14
ans, le baptême à Orléans. Sa mère est morte à Auschwitz, et lun de ses
grands-pères était rabbin en Pologne. « Comment pourrais-je cesser dêtre juif ?
» murmurait-il, toujours blessé daborder ce thème dont il détestait parler
publiquement (pour en
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Et cette vision tragique qui le tourmentait il faut lavoir vu célébrer lEucharistie
à Jérusalem pour le réaliser et dont il a peut-être aujourdhui la clé :
« La condition présente de lhistoire consiste en ce que laccomplissement des
promesses du Messie demeure caché. »
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