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Le Monde.fr : Défendons notre service public hospitalier, par 286 médecins
              mardi 20 Avril 2004 Analyses et forums            
                         
                  POINT DE VUE
                  Défendons notre service public hospitalier, par 286 médecins
                  LE MONDE | 19.04.04 | 14h13  •  MIS A JOUR LE 19.04.04 | 14h27 

            
                  A
                  Nous sommes médecins hospitaliers, professeurs de médecine, 
                  chefs de service. Par-delà nos opinions diverses, nous avons 
                  décidé de nous adresser à vous. Ce qui est en jeu se situe 
                  au-delà des opinions des uns et des autres : il s'agit de 
                  votre santé. Nous sommes conscients du caractère inhabituel de 
                  notre démarche, mais la situation est si grave que nous 
                  considérons de notre devoir de médecins de vous informer.  
                  Notre métier est de soigner, et ce métier nous l'exerçons dans 
                  des conditions de plus en plus difficiles. Nos hôpitaux, qui 
                  pratiquaient une médecine de très haut niveau, sont en train 
                  d'être disloqués. Notre système de soins, hier encore 
                  considéré comme un des meilleurs du monde, est en train d'être 
                  détruit.
                  Les gouvernements qui se sont succédé, de gauche ou de droite, 
                  les responsables politiques, quelles que soient leurs 
                  obédiences, vous ont tous affirmé qu'ils voulaient, pour votre 
                  santé, une efficacité accrue de notre système hospitalier et 
                  une amélioration de sa performance.
                  Vous avez pu le constater par vous-mêmes :
                  - Pour une demande de rendez-vous en consultation à l'hôpital, 
                  les délais s'allongent : parfois des mois.
                  - Lorsque votre chirurgien programme une opération, votre 
                  attente est de plus en plus grande.
                  - Dans les services d'urgences, les malades attendent des 
                  heures, parfois des jours, sur des brancards, car on ne trouve 
                  pas de place pour les hospitaliser.
                  - Les épidémies de grippe et de bronchiolite, pourtant 
                  parfaitement prévisibles, prennent des allures de 
                  catastrophes. Des enfants, des nourrissons, sont hospitalisés 
                  à des centaines de kilomètres de leur domicile, faute de 
place.
                  - Il n'y a plus assez de médecins, d'internes, d'infirmières : 
                  débordés, épuisés, ils ne parviennent plus à consacrer à 
                  chacun de vous le temps nécessaire.
                  Une situation indigne d'un pays civilisé !
                  Il faut que vous sachiez qu'ont été fermés plus de 150 000 
                  lits hospitaliers en vingt ans, 100 maternités ces six 
                  dernières années (le sixième des maternités de notre pays), 
                  des services et des hôpitaux entiers.
                  Vous devez savoir que le nombre de médecins en exercice 
                  diminue depuis 2002. Pourquoi ? Parce que les gouvernements 
                  successifs ont imposé une limitation insupportable du nombre 
                  d'étudiants en médecine.
                  Le gouvernement actuel s'enorgueillit d'avoir augmenté ce 
                  nombre : en réalité, cette augmentation est tellement 
                  insuffisante que le nombre de médecins diminuera de 15 000 en 
                  2008. Il n'y a plus assez d'anesthésistes, d'obstétriciens, de 
                  chirurgiens. Toutes les spécialités sont touchées. 
                  L'insuffisance des postes d'internes ne permet ni le 
                  fonctionnement des hôpitaux ni la formation de ces jeunes 
                  confrères, et va entraîner une diminution encore plus grande 
                  du nombre de spécialistes.
                  Il n'y a pas, comme il est dit, de "crise de vocations". Le 
                  problème est que, pour 25 600 candidats aux études de 
                  médecine, la capacité d'accueil n'est que de 5 600 !
                  Les gouvernements ont fermé les écoles d'infirmières. Pour 106 
                  791 candidats à la profession d'infirmière, la capacité 
                  d'accueil est de 26 346 seulement. 56 000 infirmières 
                  diplômées ont abandonné leur profession, car les conditions de 
                  travail sont devenues trop pénibles et incompatibles avec leur 
                  vie familiale.
                  On nous demande d'économiser sur tout. Nous devons discuter 
                  pied à pied pour obtenir chaque médicament nouveau. Nous 
                  attendons des mois, parfois des années, les équipements 
                  modernes et les nouvelles techniques que la science met 
                  pourtant à la disposition de la médecine.
                  A maintes reprises, nous nous sommes adressés aux ministres 
                  des divers gouvernements. Nous les avons avertis... toujours 
                  en vain. Au printemps 2002, nous avons alerté le gouvernement 
                  de gauche, puis, au printemps 2003, le gouvernement actuel. 
                  Nous leur avons exprimé notre angoisse, l'été arrivant avec 
                  ses fermetures de lits inévitables par manque de personnel et 
                  de médecins. Nous leur avons dit : "Tout peut se produire !"
                  Il y a eu les 15 000 morts de l'été dernier. Certes, la 
                  canicule était imprévisible, mais l'incapacité des 
                  établissements de soins était, elle, parfaitement prévue. Nos 
                  hôpitaux mis en première ligne, comme toujours dans ces 
                  circonstances extrêmes, n'ont pu faire face que grâce à un 
                  dévouement exceptionnel de tous les personnels.
                  Tous les gouvernants nous disent que les dépenses de santé 
                  sont devenues insupportables, qu'il faut économiser. Nous ne 
                  dilapidons pas les fonds de la Sécurité sociale : nous 
                  soignons les malades. N'est-il pas normal que les dépenses de 
                  santé augmentent dans une société civilisée ? Les progrès 
                  scientifiques et médicaux permettent de traiter des malades 
                  hier incurables. L'espérance de vie augmente de trois mois par 
                  an.
                  Nous nous en réjouissons. L'ancien ministre, M. Mattei, lui, 
                  le déplorait : "Le vieillissement de la population nous pose 
                  des problèmes majeurs, il occasionne un surcoût considérable."
                  Mme Dufoix, ministre socialiste de la santé, l'avait déploré 
                  avant lui : "50 % des dépenses médicales sont relatives aux 
                  deux derniers mois de la vie. Est-ce juste ? Probablement oui 
                  aux yeux du médecin ou de l'homme. La réponse est moins sûre 
                  pour la société."
                  Au principe intangible du respect de la vie et de l'être 
                  humain, au devoir de protection des plus vulnérables, les 
                  gouvernements substituent la doctrine du coût de la vie 
                  humaine.
                  Savez-vous ce qu'on demande aujourd'hui aux médecins ?
                  On nous demande d'élaborer des "projets médicaux" pour 
                  réorganiser les hôpitaux au motif d'en "améliorer le 
                  fonctionnement". Le préalable est constant : "diminuer les 
                  coûts". Les réorganisations aboutissent toujours à la 
                  diminution du nombre de lits et à la réduction du personnel et 
                  des moyens. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que soient 
                  présentées comme des "décisions médicales" des décisions 
                  politiques et économiques qui réduisent l'accès aux soins de 
                  la population.
                  Vous devez savoir que nous sommes de plus en plus souvent 
                  placés dans la situation de ne plus pouvoir apporter à nos 
                  semblables les soins efficaces dont ils ont besoin. Qu'il nous 
                  est demandé de trier parmi les patients ceux qui seront 
                  soignés selon les règles de l'art et ceux qui ne le seront 
pas.
                  Vous savez certainement que le gouvernement a décidé de 
                  réformer l'assurance-maladie. Il a nommé un Haut Conseil qui a 
                  fait des propositions en vue de cette "réforme". Voici l'une 
                  de ces propositions : "mesurer si l'utilité médicale d'un acte 
                  ou d'un produit justifie les dépenses supplémentaires qu'il 
                  entraîne".
                  Cela s'appelle le "rapport coût-efficacité". Autrement dit : 
                  serait évalué le coût de chaque progrès, celui de chaque mois 
                  de vie gagné... On calculerait ainsi si tel ou tel soin est 
                  rentable pour la collectivité.
                  En fonction de ces calculs, certains soins seraient 
                  remboursés, donc réalisables, mais d'autres soins ne le 
                  seraient pas. Dès lors, ne pourraient en bénéficier que les 
                  malades assez fortunés pour se les payer.
                  Nous sommes médecins. Nous le disons nettement : une telle 
                  logique est opposée à la nôtre.
                  Les médecins doivent à chacun de leurs malades "des soins 
                  consciencieux, dévoués et conformes aux données acquises de la 
                  science" (article 32 de notre code de déontologie).
                  Nous nous élevons contre la logique des "choix". Nos hôpitaux 
                  publics ont jusqu'à présent garanti tous les soins du plus 
                  haut niveau à tous les malades, à égalité, quelles que soient 
                  leurs ressources. Ils sont souvent le seul recours pour les 
                  plus démunis. C'est là notre fierté. Mais les dernières 
                  décisions gouvernementales vont à l'encontre de cette égalité 
                  d'accès aux soins en majorant le forfait journalier à 13 euros 
                  et en ne remboursant plus à 100 % les soins postopératoires 
                  réalisés en dehors de l'hôpital.
                  Durant les années de nos études, puis celles où nous avons 
                  exercé notre métier à l'hôpital, nous avons vu les choses 
                  s'améliorer peu à peu, les progrès s'accumuler. Nous ne 
                  pouvons nous résoudre à assister à la remise en cause de tous 
                  ces efforts, à la destruction d'un système de soins aussi 
                  performant.
                  Or, avec des moyens de plus en plus réduits, avec les 
                  restructurations qui se multiplient, les hôpitaux ferment de 
                  plus en plus nombreux. On les regroupe avec les cliniques ; 
                  des services sont supprimés au profit du privé.
                  Dans bien des pays, tout cela est déjà très avancé. Hier 
                  encore nous pouvions nous enorgueillir d'avoir un des 
                  meilleurs systèmes hospitaliers publics du monde. Ensemble, 
                  défendons-le.
                  Cet appel, rédigé à l'initiative du bureau du comité national 
                  de défense de l'hôpital (CNDH), a été signé par 286 médecins 
                  hospitaliers de toutes disciplines et spécialités, dans toute 
                  la France. 
                  • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.04.04
            
                   
Apartheid Médical : Manière de Voir N°73